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L’institution, en quoi ça consiste ?

Antenne Clinique d’Angers, le 3 Mai 2022

María Torres Ausejo

Je remercie tout d’abord Guilaine Guilaumé et Christine Maugin de m’avoir invitée pour converser avec vous ce soir au sujet de la psychanalyse en institution. C’est un thème qui me touche de près, d’abord en tant qu’analysante, par le lien intime que j’entretiens avec l’institution au sens large. Et, de façon secondaire, bien que très utile pour vous parler ce soir, c’est un thème qui me touche d’autant plus par mon travail à l’Ile Verte, où j’interviens comme psychologue depuis quelques années.

Vous avez déjà eu l’occasion d’entendre cette année plusieurs psychanalystes engagés dans différentes institutions, ayant en commun une pratique orientée, qui peut se rassembler sous le syntagme de « pratique à plusieurs », nommée ainsi par Jacques-Alain Miller dans les années 1970. Vous avez pu entendre aussi la singularité qui se dégage de chacun de ces lieux. L’Ile Verte a été une de ces institutions animées par un désir particulier (d’abord avec Maryse Roy, aujourd’hui avec Esteban Morilla) de se mettre au travail dans le Champ freudien, à partir de l’enseignement de Lacan et de son éthique pour accompagner des enfants autistes et psychotiques, avec une hypothèse inaugurale : « C’est l’Autre que nous avons à traiter ». C’est une question de fond qui a été dégagée par Virginio Baio : « Comment transmettre au sujet psychotique que l’Autre que nous incarnons est moins fou que son Autre déréglé ? [1]  »

Nous verrons tout à l’heure avec J.-A. Miller le statut que nous pouvons accorder à l’Autre dans la psychose, à partir des dernières élaborations de Lacan.

Aujourd’hui, ce désir dont je parle est toujours fort vivant à l’Ile Verte. Il résiste, parfois à la manière d’un cheval de Troie, en composant avec les divers obstacles que le discours du maître actuel impose. Il ne cède pas pour autant.

Je me suis d’abord posé la question de la façon de vous transmettre le singulier de la pratique que nous menons et la réponse m’est venue assez vite : ce sera en vous parlant de Nolan et d’Alice, deux enfants que nous accueillons depuis quelque temps et qui sont, pour moi et d’autres, une source d’enseignement.

Faire le choix de vous parler d’eux, c’est aussi une conviction. C’est la conviction que ce qui compte dans notre travail, c’est de mettre en place les moyens nécessaires pour que chaque enfant puisse se bâtir une institution sur mesure, à la mesure dirai-je, du traitement de la jouissance qui lui sera propre et que nous ne pouvons en aucun cas anticiper, car il est le produit de la contingence.

Avant de vous proposer le trajet de ces deux enfants, je vais commencer par faire un petit détour théorique, en essayant d’approcher un peu mieux le fil conducteur de ce soir, que j’ai condensé dans le titre : « L’institution, en quoi ça consiste ? ».

L’institution en place d’instrument

Si nous partons de la conviction à laquelle je faisais allusion, c’est-à-dire de la nécessité pour chaque enfant de se bâtir une institution sur mesure, il y a un pousse à l’invention fondamental qui se dégage.

Dans le texte « L’invention psychotique », J.-A. Miller nous éclaire sur le fondement de celle-ci à partir du statut de l’Autre : « D’une façon générale, si le terme d’invention s’impose pour nous aujourd’hui, c’est qu’il est profondément lié à l’idée que l’Autre n’existe pas, il est profondément lié à l’idée que le grand Autre est une invention. Tant que l’on reste dans l’idée que le grand Autre du symbolique existe, le sujet est simplement effet du signifiant et celui qui invente en quelque sorte, c’est l’Autre. Il n’y a que l’Autre qui invente. Tandis qu’avec l’Autre n’existe pas, l’accent se déplace de l’effet à l’usage, se déplace au savoir-y-faire. […] C’est la notion que le sujet a à savoir-y-faire […] avec son traumatisme. L’Autre n’existe pas, veut dire que le sujet est conditionné à devenir inventeur. Il est en particulier poussé à instrumentaliser le langage [2]. »

L’enfant psychotique ou autiste se trouve donc en place d’inventeur – inventeur d’un certain « savoir y faire »[3] pour contrer l’envahissement de jouissance qui est le sien dans son quotidien.

L’institution vient alors, me semble-t-il, en place d’instrument dans le travail que l’enfant mène déjà.

Une première conséquence se dégage. Quand nous accueillons un enfant pour la première fois, il s’agit de prêter attention au mode de défense, aussi primaire soit-il, dont il use déjà contre le trop de jouissance, ce qui parfois ne peut s’attraper que par un détail. Récemment lors d’une journée qui s’est tenue à Bruxelles [4], Alexandre Stevens qualifiait cette première modalité de défense de « savoir opaque », paradoxale, en tant que le savoir implique la mise en route de la chaîne signifiante, c’est-à-dire une certaine articulation entre les signifiants. Dans la psychose et l’autisme, faute de cette possibilité d’élaborer une construction à partir de cette opacité (un savoir-y-faire plus ajusté), une première manœuvre serait de permettre à l’enfant de réviser son savoir. C’est ce que nous enseigne, par exemple, la clinique du circuit ou encore l’accusé réception par un partenaire du sujet.

Une vignette pour illustrer cela. Sacha est un petit garçon aux prises avec une jouissance déréglée. Celle-ci semble se localiser particulièrement autour de la dévoration, lui-même pouvant se servir de la morsure pour se défendre des autres. Lors de son arrivée à l’Ile Verte, Sacha a rencontré Nicolas, un intervenant avec lequel il a commencé un travail acharné autour des dinosaures (son intérêt massif). Un traitement s’engage autour de ces terribles lézards par plusieurs bouts, les propositions venant autant de l’enfant que de son partenaire. Régimes alimentaires, époques, volants/bipèdes/quadrupèdes… autant de classifications et de découpages pour ordonner et trier ce qui se présentait au début comme très compact et en trop. Au fil du temps, son intérêt pour les dinosaures a glissé vers d’autres carnivores contemporains et notamment vers les Pokémons. Il les a attrapés par un autre bout : les évolutions et les hybrides, ce qui lui a permis de s’engager dans un travail avec le signifiant sur le mode d’inventions de nominations nouvelles pour ces créatures, pouvant transposer cela comme manière de faire avec les créatures humaines aussi.

Nous voyons donc qu’à partir de l’objet dinosaure – la morsure étant le signe de la confusion et du collage que cet enfant éprouvait avec celui-ci –, Sacha a pu trouver un traitement, grâce à l’appui de l’adulte qui a pris au sérieux son intérêt. Cela a permis la construction d’un savoir nouveau, partageable et plus opérant pour le sujet quant à sa circulation dans le monde.

Un autre exemple clinique d’une collègue de Saragosse peut nous aider à saisir ce passage du savoir dans sa dimension d’opacité à une certaine mise en mouvement, comme je le disais tout à l’heure, prise dans la logique d’un circuit, devenant ainsi plus opérant. C’est le cas de Lucas, un enfant qui s’isole en faisant tourner un bout de papier, ses yeux étant absorbés par ce mouvement. Si on lui retire ce papier, il entre dans de grandes crises ; et si on le lui laisse, dans la poursuite du mouvement répétitif, il commence à engager tout son corps dans le mouvement avec le papier, dans un excès qui le déborde jusqu’à tomber au sol et recommencer. Un intervenant décide alors de s’associer à ce que fait cet enfant, en tournant ostensiblement son regard vers le papier – non vers l’enfant –, et en indiquant avec un « et hop ! » la fin du mouvement. L’enfant consent ainsi à cette présence à ses côtés et il se prête, au bout de quelque temps de répétition inlassable de cette séquence à deux, à une régulation de la montée de tension à travers cette ponctuation. Du papier qui tourne, il commencera à s’intéresser aux circuits de boules qui tombent, dans lesquels il accepte également la présence discrète de l’intervenant. Puis il va lui-même construire des circuits de plus en plus compliqués dans lesquels il fait rouler des boules de pâte à modeler qui, faute de rouler de manière parfaite, empêchent le mouvement continu. C’est alors l’enfant lui-même qui doit les aider à descendre, ce qui interrompt la gestuelle et l’excitation extrême. À partir des circuits construits, il tracera ensuite sur du papier des parcours de type labyrinthique, reproduisant les lieux qu’il a l’habitude de fréquenter. Ainsi une écriture des déplacements de son corps dans l’espace se produit, ce qui ordonne sa circulation.

Prendre la voie du symptôme : vers une consistance nouvelle

Revenons à la question du « savoir y faire » pour le prendre cette fois par le biais du symptôme, ce qui nous aidera à le repérer d’une manière un peu plus logique.

En suivant le fil de l’institution comme instrument, nous pouvons dire, avec le dernier enseignement de Lacan, que notre travail vise à accompagner l’enfant dans la fabrication, le bricolage d’un pseudo-symptôme, c’est-à-dire une façon de trouver une consistance nouvelle permettant de mieux tenir dans l’existence – là où le sujet psychotique est foncièrement en place d’un objet qui ne tient pas.

Voici une des façons dont Lacan représente le symptôme, en se servant de la topologie, et qui va nous être utile ce soir :

C’est dans le Séminaire RSI (1974-1975) que Lacan ajoute au nœud constitué par les trois registres Imaginaire, Symbolique et Réel, un quatrième fil. Il nous présente donc un nouveau nœud à quatre éléments.

Lacan donne à ce quatrième fil, qu’il nomme le symptôme, une fonction de nouage, de suppléance, dans la mesure où le nœud à trois ne peut pas tenir tout seul.

C’est un petit fil qui passe à l’intérieur de chaque dimension, chacune étant représentée par un cercle. En tant que cercle, chaque dimension est faite d’une ficelle et d’un trou central, qui représente à la fois ce qui consiste dans chaque ordre et ce qui rate.

Voyons ce que cela veut dire plus exactement pour chacune de ces dimensions, en essayant de l’éclairer avec quelques repères cliniques.

Concernant le registre imaginaire, la consistance de cette dimension est faite de la fonction de l’image en tant qu’elle donne une possibilité de représentation du corps, d’identification à d’autres corps, avec son versant statique et son versant animé. Le trou dans ce registre vient signaler qu’il y a quelque chose du vivant qui échappe toujours à l’image, quelque chose qui ne peut pas s’attraper tout seul.

C’est ce que nous enseigne par exemple la culture actuelle du selfie. Clotilde Leguil propose une analyse formidable de ce qu’elle appelle « l’ère du narcissisme en masse ». Elle dégage un nouveau malaise contemporain lié à la mise en scène permanente de soi, via les selfies et les réseaux sociaux, qui produit le mirage d’un « je suis». Celui-ci reste approximatif et il éloigne encore le sujet de la question fondamentale de sa propre existence. Ce malaise indique ce qui ne peut pas se montrer, ce qui résiste à être absorbé par la consistance imaginaire.

Nous trouvons dans le témoignage écrit de Temple Grandin, que vous connaissez sûrement, un autre exemple de maniement de la dimension imaginaire qui peut venir faire tenir quelque chose pour le sujet, là où il y a une défaillance du nouage des trois registres. Dans son ouvrage Penser en images, elle décrit comment elle se sert des images pour traiter ce qui lui est impossible avec la langue, c’est-à-dire l’articulation du sens. Par ce biais, elle parvient à donner une certaine signification aux mots, du côté du signe.

T. Grandin explique qu’elle dispose dans sa tête d’une bibliothèque de situations, d’images associées à des mots. À partir de cela, elle établit des règles, une hiérarchie de règles qui lui permettent de s’orienter dans le monde et d’avoir une conduite « prêt-à-porter » dans la plupart des situations. Je la cite : « Pour créer de nouvelles images, je pars toujours de mille petits morceaux d’images que j’ai emmagasinées dans la vidéothèque de mon imagination et que je recolle ensemble. »

François Bony, dans un article que vous pouvez trouver en accès libre sur le site « lacan-université », avance l’idée que c’est plutôt un travail d’association « d’une image acoustique à des images visuelles ». La défaillance symbolique propre à l’autisme se voit compensée avec un traitement singulier du sujet par la dimension imaginaire.

Citons un dernier exemple, recueilli par une collègue, qui vient plutôt signaler l’inconsistance de l’imaginaire. Un enfant, tout à coup, a peur de se regarder dans le miroir. Sa mère s’interroge car ce n’est pas habituel. Elle trouve elle-même la réponse : elle se rend compte que cette peur coïncide avec le changement d’un produit de nettoyage, le nouveau laissant un léger voile, à peine perceptible pour chacun d’entre nous, mais qui pour l’enfant produit une distorsion insupportable. En cessant d’utiliser ce produit de nettoyage, l’enfant peut à nouveau se regarder tranquillement dans le miroir.

Passons maintenant au registre symbolique. La ficelle vient représenter ce qui consiste de l’ordre du langage et de sa structure, de ses lois. Le trou au milieu vient signaler l’impossible de tout dire, de tout faire passer par la parole. C’est-à-dire qu’il y a quelque chose de foncièrement manquant dans la langue et dans sa dimension équivoque. Ce qui fait, me semble-t-il, le fondement logique de l’inconscient en psychanalyse, depuis Freud.

Nous verrons un peu plus tard avec Nolan, l’enfant dont je vais vous parler, que dans la psychose précisément, certains mots et énoncés peuvent prendre un caractère univoque, confrontant le sujet à la face la plus féroce de la parole, qui se présente dans une dimension insuffisamment trouée.

C’est le cas d’un jeune adolescent dont un collègue me parlait récemment, pour qui au moment de son entrée en Hôpital de Jour sa mère a dit : « je ne veux pas que mon enfant devienne un légume ». L’après-midi même, elle l’a retrouvé avec un éplucheur de légumes, prêt à l’utiliser sur son bras. Voilà un exemple assez extrême du pouvoir des mots quand ils viennent consister.

Quant au registre du réel, nous pouvons l’approcher en parlant de la jouissance, du corps qui jouit. C’est le registre qui touche de plus près à l’être vivant. Les sensations, les évènements du corps sont quelques-unes des manifestations qui se situent du côté de ce qui consiste dans cette dimension. Le trou dans ce registre réel viendrait signaler qu’il y a quelque chose qui ne passe pas au niveau de ce qui se jouit dans le corps.

Je cite J.-A. Miller sur la question de la jonction de la parole et du corps, qui vient mettre l’accent sur le fait que celle-ci ne va pas de soi : « Ce qui fait mystère, […] c’est ce qui résulte de l’emprise du symbolique sur le corps. Pour le dire en termes cartésiens, le mystère est plutôt celui de l’union de la parole et du corps. De ce fait d’expérience, on peut dire qu’il est du registre du réel [5]. »

Ce qui peut venir illustrer cela, me semble-t-il, ce sont les manifestations de ce que Lacan aborde comme des « désordre[s] provoqué[s] au joint le plus intime du sentiment de la vie [6] ». Dans la psychose, ce sentiment peut apparaître au sujet sur son versant foncièrement étranger, comme une impossibilité de donner sens à la vie. C’est un désordre dans la manière dont on ressent le monde environnant, dans la manière dont on ressent son corps, dont on se rapporte à ses propres idées.

Lacan le décèle avec Joyce, me semble-t-il, à partir du souvenir d’enfance qu’il rapporte dans un de ces livres (Portrait of the artist as a young man). Joyce raconte comment il a été battu par quelques camarades. Ce qui intéresse Lacan, c’est la façon dont il a vécu cette raclée. Joyce emploie une métaphore pour parler du détachement qu’il a éprouvé à ce moment-là d’avec son propre corps, évacué « comme une pelure ». Joyce éprouve alors son propre corps comme lui étant étranger, ce qui montre la face réelle de ce qu’avoir un corps implique.

Prenons un autre exemple de cette face réelle du corps. Quand la jonction de la parole et du corps fait défaut, les sensations peuvent dévoiler une trop grande consistance, une consistance non trouée par la langue. C’est ce que nous retrouvons dans le témoignage de Donna Williams, autiste et auteur du livre Quelqu’un, quelque part. Dans cet ouvrage, elle décrit de manière impressionnante ce qu’elle nomme le Grand Rien Noir. Voici un passage : « Les murs ont poussé́ et j’avais mal aux oreilles. Je devais sortir hors de la pièce, hors de cette chose que je portais sur moi-même, en me noyant dans une coquille de chair. Un cri est sorti de ma gorge. Mes jambes de fillette de quatre ans ont couru d’un côté à l’autre de la pièce, se déplaçant de plus en plus vite, mon corps frappant les murs comme un moineau volant vers la fenêtre. Mon corps tremblait. J’étais là. La mort était là. Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir. Je suis tombée à genoux sur le sol. Ma main a parcouru le miroir. Mes yeux cherchaient frénétiquement ces yeux qui me regardaient, cherchant quelque sens, quelque chose avec quoi me connecter. Rien, rien, nulle part. Le cri silencieux surgit dans ma gorge. Ma tête semblait exploser. Ma poitrine soupirait à la fin de chaque respiration, aux portes de la mort. Le vertige et l’épuisement commencèrent à dépasser la terreur. C’était incroyable combien de fois par jour je pouvais mourir et pourtant rester en vie ». Et elle ajoute : « Vingt-six ans plus tard, je savais que ce n’était pas une mort qui venait, mais des émotions ».

Alors, une fois posées ces quelques briques pour saisir un peu mieux les implications de ces trois registres et la fonction de la quatrième ficelle du symptôme dans l’existence, comment situer la place du travail en institution ?

Il me semble que le travail que nous menons dans nos institutions vise à accompagner le sujet, en suivant la voie de l’invention, pour venir trouer ou faire consister un peu plus une de ces dimensions, en utilisant les propriétés de chacun des autres registres [7]. Il s’agit donc de repérer les éléments de la logique propre à chaque enfant – ce qui nécessite une mise au travail permanente dans l’espace de la réunion clinique – pour ensuite faire usage, dans la vie institutionnelle, de la parole, des semblants, des lois, des instances, de la présence des uns et des autres, etc., de la façon la plus ajustée possible afin de permettre à l’enfant de trouver une consistance nouvelle. C’est ainsi que je déplierai aujourd’hui ce qu’est une « institution sur mesure ».

En parcourant le site web de l’Antenne Clinique d’Angers, j’ai découvert des textes très intéressants comme celui de Guy Briole intitulé « De la thèse au sinthome », dont je vous cite un petit passage, qui tombe bien : « Lacan fait valoir comment une invention, résultant le plus souvent d’un travail soutenu sur de nombreuses années, est une conquête de haute lutte pour celui qui n’a pas le Nom-du-père comme appui. Cela permet à ce nouage de tenir et au parlêtre de se déplacer dans le monde parmi les autres [8]. »

Avec cette ponctuation, je vais donc vous parler maintenant d’Alice et de Nolan.

Alice

Alice est arrivée à l’Ile Verte à l’âge de quatre ans, appareillée d’une tétine à la bouche. Ses seuls objets d’intérêt sont les poussettes pour poupons qu’elle trimballe depuis toute petite chez elle et qu’elle n’a pas tardé à retrouver dans l’institution. L’admission se fait après quelques rencontres préliminaires avec la famille et l’enfant. Les parents sont inquiets car elle parle très peu, en écholalie, et elle n’arrive pas à jouer ni à passer des moments seule. Elle est constamment collée au corps de sa mère ou bien en miroir avec elle, répétant ses mouvements.

Du « bébé qui pleure » au monde du vivant

Durant les premiers temps de l’accueil, Alice ne circule quasiment pas. Elle reste souvent la journée entière dans un coin de la pièce de son groupe. Nous remarquons que dès qu’un peu de vivant se mobilise autour d’elle, même sans une adresse directe, elle fait une mimique de chagrin, bien que celle-ci semble désaffectée. Cela pouvait lui arriver aussi lors des moments occasionnels où elle se retrouvait dans une pièce sans adulte. Cette mimique ne s’estompait qu’en la raccrochant à quelque chose d’autre, en l’accompagnant physiquement (en lui prenant la main par exemple). Alice changeait alors de posture de façon soudaine, sans dire mot.

Il a fallu un désir décidé de la part de quelques intervenants pour commencer à mobiliser un peu cette jeune fille, qui semblait dans une position de pétrification à l’image du « bébé qui pleure », la fixant dans une sorte d’inertie et une certaine forme de débilisation.

Les premières propositions se sont faites autour des livres, support qui a vite intéressé Alice qui demandait à l’adulte de lire une histoire. Ses yeux ne quittaient pas la bouche du lecteur. Nous avons remarqué qu’au fur et à mesure des lectures, elle pouvait reprendre à son tour l’histoire en reproduisant avec justesse l’intonation et les scansions faites par l’adulte lors du récit, avec à chaque fois un effet de corps notable. Une première mobilisation s’est produite par ce biais, en collage au corps animé de l’autre, appui qui pouvait cependant aussi devenir excessif, montrant une impossible séparation. Alice pouvait en effet être comme engluée par le mouvement et les dires de l’autre corps.

Le repère de cet élément clinique en réunion nous a permis de commencer à construire ses journées de manière un peu plus séquencée. Nous avons veillé d’une part à ce qu’elle puisse trouver l’appui des intervenant, ce qui lui permettait une certaine mise au travail, et, d’autre part, nous avons créé une pluralisation et un dosage des présences pour arriver le moins possible à cette agglutination entre elle et l’autre.

Cette pluralisation a été concomitante à une trouvaille du sujet : Alice commençait à être sensible aux différents accessoires que nous portions sur notre corps (bagues, colliers, lunettes) et nous le faisait remarquer. Ces objets, venant isoler un détail du corps, semblaient lui permettre d’introduire une première différence dans le continuum que nous pouvons supposer être le sien, et ils faisaient conversation entre elle et l’adulte. Ainsi, Alice pouvait non seulement inscrire cette différence par les détails du bijou entre elle et l’autre, mais aussi créer une discontinuité dans le temps, remarquant par exemple que ce jour-là telle intervenante ne portait pas le même collier que la semaine précédente. Cette introduction de la différence dans l’image par le biais de ces objets appareillés au corps, permettait quelquefois, en s’y référant, de l’aider à créer un certain décollage entre elle et l’autre quand l’agglomération venait à pointer.

Revenons un instant sur cette première manœuvre institutionnelle. Si celle-ci semble avoir donné lieu à une première sortie de la pétrification, en permettant une mise en mouvement et des investissements nouveaux, cela ne s’est pas produit sans conséquence. Alice semblait être alors plus captive et traversée par le vivant de l’institution, les voix, le va-et-vient des gens. Une logorrhée marquée et des questions incessantes sur l’heure des ateliers sont apparues, adressées aux intervenants avec lesquels elle travaillait le plus, faisant signe d’un effort constant du sujet pour rebâtir les dimensions de l’espace-temps. Un travail coûteux de géolocalisation commandait sa journée entière. Nous allons voir maintenant une des inventions de ce jeune sujet pour contrer ce réel massif, à travers l’usage d’une écriture.

Trouer le bruit de la langue par la lettre

Lors d’un atelier peinture que je menais, Alice s’exécutait semaine après semaine à la gouache sur le chevalet. Elle couvrait la feuille de matière, en rajoutant plusieurs couches jusqu’à ce que la peinture coule du support vertical. Son geste étant toujours très vif, un jour le bord du pinceau a raclé la matière et provoqué l’effet inverse, laissant entrevoir le blanc de la feuille. Un effet de surprise s’est alors produit pour elle dans cet acte, qui s’est renouvelé séance après séance, marqué d’une grande jubilation. À côté d’elle et montrant ma surprise aussi, je commentais quelquefois ces premières traces : « ah, là tu écris », « Oui ! C’est le A de Alice », annonçant le grand A qu’elle a ensuite tracé sur la feuille – lettre inaugurale.

Dans la multitude de traces qui se déposait semaine après semaine, quelques-unes, réalisées d’un seul geste vif qu’Alice ponctuait par sa voix, prenaient forme de lettre, ce que je lui faisais remarquer. Quelque chose s’est alors de plus en plus précisé du côté de l’écrit. Alice a étendu ce travail sur d’autres ateliers et d’autres supports. Se servant des feutres par exemple, elle menait cette tâche avec beaucoup d’obstination et à n’importe quel moment de la journée, demandant toujours la présence d’un adulte, qu’elle convoquait de façon particulière.

Cela s’inaugurait avec un « comment ça s’écrit ? », à propos d’un signifiant qui semblait traverser l’ambiance du moment présent (un objet à sa vue, le prénom de quelqu’un qui parlait dans l’autre bout du couloir, etc.). C’était à l’adulte d’épeler les lettres, Alice les disposait une à une sur la feuille de façon désordonnée dans l’espace, en les nommant d’une voix qui porte pendant qu’elle les traçait. Ensuite elle demandait que l’autre lise les mots, et elle redoublait cette lecture à chaque fois en répétant à son tour.

Cette répétition infatigable, qui a sollicité un bon nombre d’adultes, s’est avérée opérante au fil du temps. Depuis quelques mois, Alice a pu commencer à réaliser d’elle-même la première partie de cette opération : elle énonce le mot à voix haute, puis elle se lance dans un travail sur la langue en faisant l’effort, me semble-t-il, d’extraire de cette matière les sons pour les faire lettres. C’est une pratique de coupure qui se sert de la trace, appliquée à l’image sonore.

Nolan

Je vais maintenant vous parler de la trajectoire de Nolan, un jeune garçon arrivé à l’âge de sept ans à l’Ile Verte et qui a aujourd’hui douze ans. Cet enfant nous a mis au travail de façon bruyante, de façon urgente à plusieurs moments, à la mesure certainement de la menace constante à laquelle il a affaire.

Nolan s’est présenté d’emblée comme un petit garçon terrorisé par les objets, les mots et la présence des autres. Tout pouvait faire signe d’une injonction, d’un « ça se jouit de moi » élémentaire. Comme réponse, ce garçon trouvait dans les meilleurs des cas à se cacher derrière le corps de l’adulte, devenant une sorte de bouclier, mais la plupart du temps il s’y confrontait directement jusqu’à la destruction. Les objets finissaient souvent en l’air, voire en morceaux. Collé à l’agitation des autres, -la collectivité était particulièrement difficile pour lui- il tombait à chaque fois sous l’emprise du déchaînement.

Comment accueillir en institution ce garçon pour qui le monde et le social faisaient extrême violence ?

Durant les premiers temps de son accueil, nous nous sommes disposés de façon à lui procurer des espaces sans autre enfant autour, en réduisant aussi au maximum la présence des objets, faisant l’hypothèse que ceux-ci étaient foncièrement des signes de la jouissance de l’Autre. Les moments de coupure, les passages d’une pièce à l’autre par exemple, nécessitaient aussi un maniement particulier de notre part pour introduire une certaine continuité.

Mais cet impératif de jouissance qui poussait Nolan à tout casser ne cédait pas et était même parfois très présent. Les multiples tentatives pour le décaler de ces impossibles étaient peu opérantes. Il ne restait alors plus qu’à le tenir physiquement pour marquer un arrêt, ce qui pouvait provoquer des phénomènes de morcellement de corps qui se faisaient plus présents.

« À l’Ile verte, on fait n’importe quoi »

Au fil du temps, nous avons repéré un élément qui commençait à se répéter pour Nolan lors de ces moments de crise. Souvent, le déchaînement s’accompagnait de la réitération d’une phrase qu’il hurlait, sans possibilité d’introduire quelque chose d’autre : « Je m’en fous », phrase parfois répétée jusqu’à une certaine déformation de la matière sonore. Les intervenants qui passaient plus de temps avec lui témoignaient aussi des moments autres où Nolan pouvait énoncer, entre le flot métonymique dont son discours était fait, un « mon père, il s’en fout de l’Ile Verte » ou encore « à l’Ile Verte, on fait n’importe quoi ».

Ces énoncés semblaient avoir un pouvoir massif sur l’enfant. Ces phrases, surgissant sans raison apparente, avaient une telle consistance que Nolan apparaissait comme commandé par elles.

Cela nous a semblé se rapporter au lien tendu que le père de Nolan entretenait avec l’Ile Verte. En effet, ce père pouvait dire, de façon ouverte et devant son enfant, qu’il considérait l’Ile Verte comme une sortie du chemin de la normalité. L’institution de soins venait dans la vie de son fils à défaut d’une inscription à temps plein à l’école. Pour lui, tout allait bien à la maison. La famille de Nolan étant marquée par la folie du côté maternel, cet homme tenait à l’éducation comme la voie royale pour rentrer dans la norme, se défendant d’entendre le degré de difficulté psychique dans laquelle ses enfants se trouvaient.

Comment alors faire déconsister ces énoncés, que nous supposions véhiculés par l’entourage familial, et face auxquels les possibilités de créer un petit mouvement étaient très restreintes ? Comment venir trouer a minima cette parole foncièrement aliénante pour l’enfant, sans pour autant faire un appel à Un-Père et à ses effets potentiellement dévastateurs ?

Dans l’après-coup, nous pouvons dire qu’au moins deux actes dans l’institution ont opéré dans ce sens.

Le premier a été la trouvaille d’une intervenante, très attentive aux signifiants de Nolan : l’argent, la banque, le travail, etc. Elle a proposé, lors des moments où Nolan était pris par la destruction du matériel et des objets, de faire une liste pour ensuite envoyer une facture à son père. À sa grande surprise, cela produisait la plupart du temps un effet d’arrêt sur Nolan, qui pouvait s’extraire de la destruction et devenir un garçon très inquiet du prix à payer par son père. L’idée d’un certain coût introduisait-elle une première valeur à sa présence dans l’institution ?

Un autre moment de bascule s’est produit un jour où Nolan s’est de nouveau mis à tout casser, en mettant en danger lui-même et les autres. Face à cette urgence, un autre intervenant qui travaillait habituellement avec lui a fait le pari d’appeler le père et de faire signe à Nolan de cela. Il a expliqué au père qu’il n’était pas possible d’accueillir son fils dans ces conditions et lui a demandé de venir le récupérer un peu plus tôt ce jour-là. Le père a alors demandé à parler au téléphone avec son fils pour le calmer, puisqu’il lui était difficile de quitter son travail avant l’heure et de manquer à cette obligation. Cela a eu pour effet d’arrêter Nolan. Un « il faut que ça s’arrête » est venu, pour la première fois, à la place du « faire n’importe quoi ».

Un traitement constant de l’Autre

Quels sont les effets qui nous amènent à considérer aujourd’hui ces moments comme des points de bascule dans le trajet de Nolan ?

Nous avons assisté à un changement assez remarquable. Les moments de déchaînement se sont estompés, laissant place à une nouvelle façon de faire avec l’Autre institutionnel. Nous avons vu apparaître de nouvelles modalités d’adresse et de traitement. Elles étaient certes repérables dès le début mais elles restaient en germe, c’est-à-dire que Nolan n’avait pu s’en servir jusque-là.

Les blagues hors sens, le maniement et la torsion des mots, efforts du sujet pour faire avec le versant écrasant de la parole, ont pris une place essentielle dans sa façon de faire avec les exigences propres à la vie en communauté. Nolan pouvait ainsi nous rendre un peu moins menaçants et consentir à une certaine forme de lien social – un lien un peu plus pacifié pour lui. Ce mode de traitement, propre à cet enfant, a produit un effet civilisateur, dans le sens d’une possibilité de partage avec l’Autre.

« Il y a trop d’idées dans ma tête »

À côté de cela, quelque chose d’autre dans le rapport à la parole de cet enfant s’est également modifié. Nolan se présentait la plupart du temps comme étant en prise directe avec les mots, ayant affaire à la face métonymique de la parole, où la sonorité et le hors sens gouvernent. « Il y a trop d’idées dans ma tête », comme il a pu le dire une fois, indiquait qu’il était envahi par la langue.

En prenant appui sur certains signifiants qui circulaient à l’Ile Verte, ainsi que sur quelques intervenants partenaires dans son travail, Nolan a commencé à réaliser un travail d’ordonnancement du flot de la parole. Dans ses énoncés, des mots comme « je réfléchis » ou « attends » sont apparus, dénotant une certaine scansion. Ces signifiants ont introduit la possibilité d’une coupure dans le continuum de la langue.

De même, il pouvait se servir d’un adulte pour « se rappeler un souvenir », en nous indiquant « tu le notes dans ta tête », ce qui semblait le délester de certains énoncés qui revenaient en boucle et dont il avait du mal à se séparer.


[1] Baio V., « Orientation psychanalytique dans une institution pour enfants dits psychotiques », in de Halleux B. (s/dir.), « Quelque chose à dire » à l’enfant autiste, Paris, Éditions Michèle, 2010, p. 59.

[2] Miller J.-A., « L’invention psychotique », Quarto, no 80, 2004, p. 11.

[3] Lacan J., « Radiophonie », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 442.

[4] Intervention lors de la « Journée d’Hommage à Virginio Baio », tenue à Bruxelles le 29 Janvier 2022, non publiée.

[5] Miller J.-A., « L’inconscient et le corps parlant », La Cause du désir, no 88, 2014, p. 109.

[6] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 558.

[7] Indication donnée par G. Mouillac lors d’une intervention à la Demi Lune en février 2022.

[8] Guy Briole, « De la thèse au sinthome », publication en ligne (http://www.antennecliniqueangers.fr/de-la-these-au-sinthome-par-guy-briole/).

Nouveauté de l’hospitalisation en psychiatrie : une singularité retrouvée

Francesca Biagi-Chai

Je vous propose d’étudier une présentation de malade, celle de Mlle Boyer faite par Jacques Lacan. Comme vous l’avez peut-être reconnue, il s’agit de la patiente dont parle Jacques-Alain Miller dans la préface de mon livre [1], et celle dont Lacan avait dit qu’elle était normale – ce qui avait évidemment étonné l’auditoire de l’époque.

Je vais d’abord faire le lien avec l’institution à plusieurs niveaux.

Le dialogue analytique au cœur de l’expérience en institution

Lorsque le jeune Lacan expose la clinique du cas Aimée dans sa thèse, il procède déjà à un ciselage du réel dans l’entretien psychanalytique – ce que j’avais relevé dans mon cours sur la psychose ordinaire. Les présentations de malade existaient bien avant Lacan, mais elles consistaient en des monstrations. Comme le fait remarquer J.-A. Miller, Lacan, lui, isole le patient du public et il a un dialogue analytique avec lui pour essayer d’attraper non seulement sa structure mais surtout la manière dont le sujet se débrouille avec la structure. C’est le point enseignant dans les institutions.

La structure correspond à ce qui est proprement psychiatrique : la paranoïa, la schizophrénie, etc. D’ailleurs les infirmiers connaissent très bien les signes, les phénomènes, les hallucinations. Mais le pas de plus que la présentation de Lacan permet, c’est de voir comment cela se trame pour le sujet, c’est-à-dire comment il traite la structure par la jouissance. La structure est particulière tandis que la jouissance est singulière. J’ai trouvé ce rapport entre la particularité et la singularité, souligné par Guilaine Guilaumé à Question d’École [2], d’une pertinence formidable ! Au niveau de la particularité, on peut dire : « c’est un psychotique plutôt paranoïaque ou plutôt schizophrène ». Tandis qu’au niveau de la singularité, il n’y a que la manière dont un sujet individuel a fait avec cette particularité-là, prise évidemment dans la forclusion. C’est vraiment fondamental et ce que vous avez développé, Guilaine, était remarquable.

Cela nous conduit à penser la présentation de malade dans l’institution. On retrouve immédiatement ce binaire central qui est la structure – la singularité de la jouissance, et on peut le répercuter sur les équipes qui sont présentes et entendent l’énonciation, car il n’est pas possible d’attraper la jouissance sans l’énonciation, si nous nous ne sommes pas là pour indiquer tous les chemins de l’énonciation, par où cela passe, et à quel point une parole peut être équivalente à un objet, à quel point par exemple un sujet qui se soûle de paroles se soûle vraiment, comme s’il buvait du vin. Il est possible de le faire entendre aux équipes en institution. Et quand elles l’entendent, c’est gagné, parce que la théorie s’incarne en elles. Elle devient la leur. Après, charge à elles de s’y intéresser.

À partir de là, on peut trouver une stratégie pour un patient. Je parle de cette stratégie dans le livre en utilisant les cercles concentriques d’Euler. La stratégie se situe au centre. Ce qui échappe, au croisement, c’est la tactique. La stratégie s’élabore alors à partir de l’énonciation du patient. Elle n’est donc pas pyramidale, elle ne tombe pas du ciel. Ce n’est pas un savoir déjà su d’un analyste ou d’un psychiatre. C’est un savoir retrouvé dans le dialogue. S’il est retrouvé dans le dialogue, il est donc transmissible – transmissible parce qu’il passe par l’énonciation et pas par les énoncés. C’est absolument fondamental et extrêmement précieux. On peut ensuite situer autour de cette zone centrale de la transmission d’autres zones, des zones où chaque intervenant a ses spécificités et où peut se développer une grande liberté. Quand vous êtes dans une stratégie, que vous êtes partie prenante et que vous élaborez, l’assentiment est là. Vous êtes beaucoup plus libres parce que vous vous référez à une perspective. Par conséquent, les signifiants banals tombent – comme je le disais lors de la conférence sur la dépathologisation [3] : ce n’est plus « la récidive », « la manipulation », etc. Tous ces signifiants se cassent la figure. Grâce au schéma des cercles d’Euler – que les éditeurs n’ont pas dessinés dans le livre –, on aperçoit très bien que la faute – ce que l’on peut appeler une « faute » – se situe au niveau de la stratégie. Je me suis référée à ce que dit Lacan dans « La direction de la cure ». En effet, j’ai pris comme paradigme la phrase : « l’analyste est moins libre en sa stratégie qu’en sa tactique [4] ».

Cela libère, cela soulage les équipes. Vous verriez les années qu’on a passées ! C’était extraordinaire ! Cela libère automatiquement les équipes dans la mesure où on est moins libre dans la stratégie, tous autant qu’on est. Qu’est-ce que la stratégie en institution ? C’est ne pas mettre en mouvement ce qui serait du côté du « laisser tomber » dans la psychose, par exemple.

« On est moins libre dans la stratégie » signifie que tout ce qui va casser le transfert est une faute. Mais évidemment cela s’élabore, se travaille ensemble. C’est la grande différence des institutions orientées par la psychanalyse. Au fond, la stratégie, c’est le transfert – c’est la ligne de force, d’appui. C’est pourquoi j’ai parlé de « à vie ». Ce qu’Élina Quinton et Nathalie Leveau ont tout de suite remarqué d’ailleurs, c’est le côté « à vie ». La stratégie, c’est « ne pas laisser tomber ». C’est le discours qui ne laisse pas tomber le patient bien sûr, ce n’est pas l’analyste. Je suis partie de l’hôpital et cela continue après moi.

À mon avis, et c’est fondamental, c’est sur ce point que l’orientation analytique en institution se situe à l’opposé de la psychiatrie quand celle-ci refuse le transfert – ce n’est même pas « différent », c’est totalement à l’opposé.

C’est normal que la psychiatrie refuse le transfert quand le psychiatre en question n’est pas analysé – je ne parle évidemment pas en général. Pourquoi ? Parce qu’il faut être analysé pour supporter le transfert. Un transfert ne se supporte pas comme ça – et ça peut donner des choses que vous connaissez. Tout se joue à cet endroit-là. Les équipes sont elles aussi soulagées, pour la bonne raison que chaque professionnel – qu’il soit infirmier, psychomotricien, psychologue, etc. – qui travaille auprès du patient se retrouve pris de la même manière, c’est-à-dire d’une manière qui tient le patient et d’une manière telle que le transfert ne lui fait pas peur ! Pourquoi ? Parce qu’il n’est pas seul à supporter ce transfert.

Dans certaines institutions psychiatriques, on assiste à des choses épouvantables. Par exemple, un infirmier qui devient référent d’un patient est tout simplement laissé seul avec lui. Il se retrouve ensuite avec un transfert majeur sur lui dont il n’a pas moyen de sortir.

Il est intéressant de constater que le transfert se concentre sur quelqu’un – je prends l’exemple d’un infirmier parce que nous parlons des institutions psychiatriques. C’est consubstantiel à la psychose. C’est-à-dire que le psychotique cherche un Autre. En fait, pour le dire vraiment, le psychotique cherche l’Autre de l’Autre. Il cherche l’incarnation de l’Autre qui tire les ficelles. Lorsque quelqu’un se trouve à cette place, qu’il est seul à cette place qui concentre le transfert, il devient quasiment malgré lui l’Autre de l’Autre pour le sujet.

Le patient psychotique cherche l’Autre de l’Autre, c’est ce qu’on appelle la « jouissance de l’Autre ». Il cherche la jouissance de l’Autre. Ce n’est pas le désir qui est en jeu chez le soignant. Au départ, le soignant a son désir, mais celui-ci est envahi par la nécessité du sujet psychotique de trouver celui qui va tirer les ficelles. Et à partir du moment où il trouve quelqu’un qui tire les ficelles, il devient objet dans la vie. Il se met à une place féminisée. Il est à sa place donc il est partenaire de son soignant. C’est terrible, notamment dans les institutions où il y a des cas lourds.

À partir de cette lecture, je pense que le désenchantement des soignants est tout à fait compréhensible. Il s’agit donc de « réenchanter », c’est-à-dire de mettre en place une circulation de savoir – un savoir construit à partir de l’énonciation et pas des connaissances sur la psychose. Il faut faire la différence entre savoir et connaissance. Il ne s’agit pas de dire : « voilà, je vais vous dire tous les signes de telle pathologie ». Ce n’est pas ça du tout. C’est un travail de consubstantialité. Cela me paraît important.

Chacun est libre dans sa « zone de compétence », pour parler moderne. Chacun peut se tromper, mais ce ne sera jamais qu’une erreur. Or, une erreur n’est pas quelque chose d’irréparable. Par exemple, si on dit un truc et que le patient ne l’a pas bien compris ou qu’il l’a compris de travers, on verra ensuite ce que ça donnera. Mais le transfert n’aura pas été rompu.

J’ai le souvenir d’un patient par exemple, dont je parle dans le livre [5], qui était quasiment une contre-indication à l’hospitalisation de jour – alors qu’il n’y en a pas beaucoup – mais qui était quand même venu. Comme sa psychose allait dans le sens que je décris, il considérait qu’il était notre femme, qu’il pouvait ouvrir le frigo, etc. Il avait une jouissance totalement débordante et absolument inarrêtable parce qu’il considérait que nous étions une part de lui-même. Toutes les questions de séparation ont ainsi été travaillées dans les réunions du mardi.

Je voudrais encore vous dire autre chose par rapport aux équipes que j’ai trouvé très intéressant. Je ne sais pas si je l’ai écrit. Peut-être n’ai-je pas assez montré l’usage de cette consubstantialité acquise à travers le dialogue analytique et l’usage que font les équipes soignantes de leur perception de l’énonciation du sujet. Par exemple, un matin, une infirmière m’interpelle :

« Madame Biagi-Chai, je voudrais que vous voyiez untel.

– D’accord. Pourquoi ?

– Eh bien écoutez, il est très triste. Tout son visage porte le masque, c’est quasiment l’oméga mélancolique. Mais quand on lui demande comment il va, il trouve que ça va très bien. On n’arrive pas vraiment à comprendre. Il ne mange pas, il ne bouge pas… »

Elle savait déjà. Quoi ? Qu’il y avait une dissociation pour lui. C’est ça, le savoir. Ce patient était en état dissociatif, donc il s’agissait d’essayer d’attraper cet état dissociatif. Le médecin va donc s’y mettre, se le coltiner.

Je reçois ce patient. Il me dit : « ça va. Très bien ». Alors je lui dis : « quand même, les infirmières me disent qu’elles vous trouvent une tête d’une tristesse incroyable ce matin ». Il me dit : « Ben évidemment, quelqu’un qui a perdu son oncle auquel il tenait l’avant-veille ne peut pas être gai ! » Tout le visage traduisait donc un affect que le sujet n’éprouvait pas comme tel. Cela serait impossible dans une autre institution : on lui tomberait dessus tout de suite : « vous n’avez pas d’affect ! » La question de l’affect est fondamentale dans les institutions.

C’est pareil pour cette femme infanticide dont j’ai parlé dans Quarto [6]. Ce sont les secrétaires qui me disent : « Madame Biagi-Chai ! Venez vite, venez vite ! Il y a une patiente qui est en chambre d’isolement ». Je discute avec les infirmiers et ils peuvent me dire : « nous ne pouvons pas aborder cette femme parce qu’elle a tué ses deux enfants, c’est trop difficile pour nous ». Quelqu’un est venu finalement et j’ai fait l’entretien. La logique terrible qui avait habitée cette femme l’a rendue tout à fait compréhensible. Du moins, ils ont pu l’entendre. C’est là où le métier des soignants prend toute sa valeur, et aujourd’hui on est en train de la tuer.

Le livre et l’expérience que j’ai faite sont construits autour de la question de la présentation de malade, c’est-à-dire du dialogue analytique.

Quand un patient arrivait dans l’hôpital, j’avais un entretien dans la salle infirmière avec lui. Mais pas toute seule avec lui. Jamais ! La première rencontre avec un patient, je l’ai toujours faite sur le mode de la présentation de malade. Toujours. Il est là et cela paraît normal à tout le monde qu’il soit à l’hôpital. Ce n’est quand même pas évident d’arriver dans ce lieu ! Il y a quand même une présentation à faire. Alors qu’est-ce qu’une présentation selon nous ? Ce ne peut pas être : « je vous présente untel, infirmière, psychothérapeute, etc. » Ce n’est pas possible ! Ce n’est pas une présentation formelle. Quand on présente quelqu’un, on le présente comme quand il arrive pour la première fois chez l’analyste : qu’est-ce-qui vous amène ? Et à partir de cette question, toute l’équipe saisit et sait pourquoi il est là. Lui sait pourquoi il est là, lui sait que les autres savent, que le savoir n’est pas cloisonné, que quelqu’un ne va pas lui dire tout à coup quelque chose qui n’a rien à voir avec cette première rencontre qu’il a faite. Vous avez ainsi toute cette mise en route du savoir, cette mise en mouvement du savoir.

Finalement le patient arrive dans un lieu qui redouble, qui potentialise, les effets de bizarreries, d’étrangeté, d’isolement, de non-lien, de hors discours qu’il a déjà. Alors, ce n’est pas en lui présentant quelqu’un que ça va lui faire quelque chose. La présentation prend ainsi son sens fort, son sens lacanien. Elle est le cœur du travail que j’ai mené pendant des années et, forcément, le cœur du livre. Ce n’est pas étonnant que J.-A. Miller ait pensé à son texte sur les présentations de malades pour la préface.

Il y a toute une possibilité d’usages de la présentation, de déclinaisons de la présentation.

Commentaire de la présentation de Mlle Boyer

Maintenant, je peux me plonger avec vous dans la présentation de Lacan et nous allons voir ce que Lacan enseigne à ce sujet.

Notons d’emblée que Lacan se fait le destinataire des propos de Mlle Boyer dans l’entretien [7]. C’est très important. Comme pour le cas Aimée, il fait surgir les arêtes subjectives, quel que soit le degré de pathologie du patient.

La présentation commence comme ça :

« Mlle Boyer – … L’approche sentimentale [8]. »

« L’approche sentimentale » est une phrase à l’emporte-pièce, c’est un slogan. C’est un slogan comme privé de sujet. « L’approche sentimentale » n’est pas subjectivée ici. Lacan la récupère pour lui, il s’en fait le destinataire. Il lui dit donc : mais oui, c’est pour moi. C’est-à-dire qu’il n’a pas peur du transfert, ce qui est d’emblée un point enseignant en soi.

« On veut me valoriser [9] », dit-elle.

Lacan fait alors quelque chose qui est absolument déterminant et qui va se répéter tout au long de la présentation : c’est une coupure !

« Et alors, dites-moi l’idée que vous avez de votre valeur [10] ».

Quand il dit l’idée que vous avez de votre valeur, il coupe une compréhension commune et, au fond, il fait en sorte que le sujet se détache de ce slogan qui l’habite. C’est un moment essentiel. Pourquoi ? Le sujet dit : « on veut me valoriser ». Elle dit le fameux « on ». Je vais faire une petite différence entre le « on » psychiatrique et le « on » psychanalytique.

Selon la psychiatrie, dans la psychose, le « on » correspond à l’absence du sujet. « On » équivaut alors à un énoncé comme « il pleut », par exemple. Très bien ! Mais quand Lacan dit dites-moi l’idée que vous avez de votre valeur, ce n’est pas au niveau du « on » qu’il l’interroge mais au niveau de « valeur ». Quand elle dit : « on veut me valoriser », le mot « valeur » subit la même perte subjective que le « on ». Le « on » et la « valeur » sont exactement identiques, c’est-à-dire que « valeur » ne veut rien dire. La coupure revient à ramener l’idée de « votre valeur », c’est-à-dire je suis de votre côté pour examiner avec vous ce réel, ce non-sens, ce vide de sens du mot « valeur ». Il est très important de ne pas prendre le « on » uniquement dans ce qu’il est comme énoncé mais il faut le prendre en se demandant ce qu’il éclaire d’absence de signification dans les énoncés qui suivent. Il est lui-même frappé par un vide de la signification. On ne le fait pas signifier, comme vous le savez.

« Si j’ai une valeur vraiment, il faut qu’elle soit reconnue par les autres [11]. »

Cette femme se trouve légèrement saisie, alors qu’elle est insaisissable. Elle le restera d’ailleurs – Lacan n’en fera pas un sujet à la fin. Néanmoins, le dialogue est déjà un dialogue solide, subjectivé, éthique. Que sa valeur « soit reconnue par les autres » indique qu’elle fait un circuit. Lacan opère de manière qu’elle ne soit pas toute prise par le « on ».

« Si je ne suis pas reconnue par les autres, on a le sentiment d’infériorité [12]. »

Elle reprend des paroles vides. Cependant, elle a été sensible à la coupure. Les patients sont quasiment toujours sensibles à cette coupure. Par exemple, ce patient auquel je dis : « mais qu’est-ce que vous pensez de ça ? », l’Autre l’écrase alors tellement qu’il faut bien qu’il y ait quelqu’un qui aille chercher un signifiant au fond du sujet lui-même : quel est votre point de vue sur ce qui vous arrive ? « Dites-moi ce qui vous est arrivé, et pourquoi, à votre idée [13]… » C’est fondamental.

Ce qui est important avec le mot « valeur », ce qu’on peut expliquer, c’est un mot qui a une valeur. Il a une valeur parce qu’il fait tenir un semblant de discours. Dans la phrase « on veut me valoriser », tout le monde peut comprendre a priori. Tout le monde peut comprendre, pourtant c’est une néo-signification, un néo-sémantème.

« En tout cas, moi je suis là pour ça, pour vous valoriser [14]. »

Il reprend ce qu’elle dit et il ne recule pas. Il n’a pas peur du transfert.

« J’aime faire ce qui me plaît [15]. »

Elle revient tout de suite à sa liberté, ce que l’on verra se déplier tout au long de la présentation. Lacan ne cherche pas vers mais qu’est-ce-qui vous plaît ? Elle a déjà assez de métonymies, ce n’est pas la peine d’en rajouter. Les coupures arrivent sans cesse, en fait. Elles sont discrètes, légères, cela dépend des moments. Lacan va vers le détail, en parallèle de ce qu’on ferait dans une névrose : dites-moi

« Dites-moi de quel est l’employeur il s’agit ?

– Je ne sais pas, je crois qu’il est médecin.

– Pourquoi croyez-vous qu’il est médecin ?

– Parce qu’il me semblait avoir une compréhension vis-à-vis de moi, vis-à-vis de sa fille adoptive.

– Il a une fille adoptive ?

– Il a accepté les enfants de la mère ; il a épousé la femme, puisqu’il aime sa femme, il aime ses enfants, même si les enfants ne répondent pas à son attente. C’est la fille épileptique [16]. »

La patiente noie. Elle noie d’abord parce qu’elle ne peut rien attraper d’elle-même. Lacan prélève la « fille adoptive ». Pourquoi ? Au milieu de tous ces poncifs, « fille adoptive » est un bout de réel que Lacan attrape. Il fait pareil pour Aimée – je vous renvoie à ce que j’ai détaillé dans mon cours. Le signifiant « fille adoptive » retient Lacan. Après la patiente repart… Quand elle dit « fille adoptive », elle dit en même temps « épileptique ». Donc, au fond, elle dit quelque chose d’elle. Elle dit sa maladie. Cela rejoint cette fameuse phrase de Lacan qui est pour moi énigmatique et que je cite tout le temps : Comment le sujet peut-il connaître quelque chose de lui sans pour autant s’y reconnaître [17] ?  Elle ne le subjective pas mais elle peut le dire quand même. Si on prend cette phrase comme boussole, on s’aperçoit que Lacan entend dans « épileptique » ce qui pourrait être comme une identification imaginaire – voire transitive, en tout cas imaginaire. Il essaie d’entrer dans la question de la fille épileptique pour chercher justement cette différence d’avec les autres filles.

« Je voudrais savoir si vous avez assisté à quelque chose qui ressemblait à une crise [18]. »

La maladie permet de l’aborder selon deux axes : elle permet à la fois de voir s’il y a une identification imaginaire, mais aussi si le sujet – ce que Lacan cherche tout au long de l’entretien d’ailleurs – si le sujet a le désir – bien que « désir » soit un grand mot, mais disons-le quand même dans son acception banale – si le sujet a le désir de s’occuper de quelqu’un, ce qui pourrait mettre sur la voie d’une suppléance. Lacan interroge à la fois le versant de l’identification et le versant objet. Est-ce l’objet ou est-ce l’identification ? En tous cas, c’est ce qu’elle-même a relevé au milieu de son fatras de banalités : « il est médecin, il aime les enfants, il ne les aime pas, etc. » Lacan tente probablement de saisir à quoi ressemble une crise pour elle, c’est-à-dire comment elle s’est comportée face à ça : qu’est-ce qui se passe ? Expliquez-moi bien. « Je sais que vous vous êtes occupée d’enfants [19] » Vous vous occupez de la maladie vous-même, dans les hôpitaux. Lacan savait qu’elle s’était occupée d’enfants. Mais il essaye de l’attraper dans le discours de la patiente à partir de ces deux versants.

« Est-ce que vous pensez, vous, que vous avez été en passe d’être cataloguée comme ça [20] ? »

Quand j’ai parlé dans mon livre de « noyer le poisson », c’est exactement ce que fait Lacan, il noie le poisson. Il ne dit pas : est-ce que ça pourrait valoir pour vous ? Dans ce cas, il ne la saisirait pas. Ses circonvolutions sont extraordinaires ! « Est-ce-que vous vous pensez, vous, que vous avez été en passe » – éventuellement, ce n’est pas sûr… j’émets une hypothèse… vous la corrigerez… c’est vous qui savez… etc. – « que vous avez été en passe d’être cataloguée comme ça ? » Cataloguée par les autres, évidemment. Nous sommes en train de parler, vous et moi, donc les catalogues, c’est pour les autres. Que fait Lacan ? Après s’être situé lui-même comme l’Autre social, il dit je suis là pour vous. Comme elle dit que cela doit passer par les autres, à juste titre d’ailleurs, Lacan est là ; il porte en lui le discours social. Mais il n’est pas tout dans le discours social. Il ne l’incarne pas. Il y en a d’autres qui auraient pu vous prendre et vous cataloguer, moi je ne vous catalogue pas. Moi, je regarde du côté de votre jouissance. Il ne le dit pas mais toute cette périphrase est faite pour séparer Lacan, en tant que destinataire social du dialogue, des autres qui pourraient effectivement la cataloguer. Cela va dans le sens du transfert, tout en ne situant pas Lacan comme Autre de l’Autre, c’est-à-dire cela le coupe d’être l’Autre de l’Autre. Il y a moi, et il y en a d’autres.

« Donc c’était des enfants que vous voyiez… ?

– À Saint-C*.

– Expliquez-moi. C’était il y a longtemps ça ?

– Il y a cinq ans.

– Qu’est-ce qui vous a poussée à aller à Saint-C* ?

– Je ne sais pas. Je cherchais un changement total, un changement simplement, quoi, un changement de valeur justement. Je voulais un autre emploi […] Là, je ne remplaçais personne, j’étais bien tranquille.

– À Saint-C*, c’est le souvenir que vous en avez gardé, c’est que vous étiez bien tranquille [21]. »

À cette époque, elle travaillait dans un centre. Comme elle s’occupait d’enfants et comme on s’occupait un peu d’elle aussi, les identifications imaginaires tenaient. En effet, pendant toute la période où elle travaillait avec des enfants, elle n’était pas dans l’errance. Auparavant, elle passait d’un travail à un autre parce qu’elle ne cherchait que le changement. Pourquoi ? Parce que la métonymie, l’errance verbale, dans laquelle elle était se doublait d’une errance dans la réalité – ce qui rappelle également le cas de Landru.

« Avant Saint-C*, j’étais bien tranquille. Justement, précisément, pendant Saint-C*, on m’a amenée, j’avais des troubles [22]. »

C’est probablement à Saint-C* que le déclenchement de sa psychose s’est produit. Elle s’approche du déclenchement, puis elle coupe :

« Je m’excuse, je peux boire un verre d’eau [23] ? »

Elle fait un saut parce qu’elle ne peut pas fournir le motif, elle ne peut pas aborder la cause.

« Je sais qu’il y a du monde autour de moi, mais j’oublie complètement [24]. »

Cette fois, c’est elle qui noie le poisson. Lacan reprend :

« Oui, bien sûr, L’important, c’est quand même…

– L’important, c’est la rose, la fleur de l’églantine [25]. »

Elle part du côté de l’ironie. Au moment où on approche finalement quelque chose qui pourrait être un repérage de ce qui n’allait pas pour elle, elle quitte le dialogue et elle part dans l’ironie, c’est-à-dire qu’elle largue l’Autre. Lacan accepte l’ironie ! Il fait une place à l’ironie parce que c’est la défense du sujet. Il ne lui dit pas bon ! C’est le début de la présentation, il lui fait cette place : c’est ça qui est important ?

« C’est une fleur, une gentille petite fille. […] J’ai fait des promenades à vélo. C’était un peu comme la chanson. La chanson des vélos [26]. »

Alors Lacan : « il y a en effet une chanson comme ça. » Il la laisse avec un vélo. Elle part… elle croit qu’elle va se promener métonymiquement, rejoindre l’errance à laquelle elle est habituée. Puis Lacan lui dit tâchons de repartir de Saint C*. Tant qu’à faire qu’on est à vélo… Comme il dira plus tard, revenons à nos moutons. Elle revient dans le dialogue.

« Qu’est-ce que vous voulez savoir[27] ? »

Comme Lacan a lâché du lest au niveau de l’ironie, quand il dit revenons à Saint-C*, elle ne se braque pas. C’est exactement comme qu’est-ce qui vous a fait penser que vous avez peut-être été en passe… ? C’est la même chose. Il lui laisse son espace et il lui dit bien, revenons là. Elle est en confiance et automatiquement elle lui dit : « Qu’est-ce-que vous voulez savoir ? », tout à fait naturellement. Lacan peut poser la question sur l’objet, c’est-à-dire sur l’enfant :

« J’aimerais savoir comment vous avez eu votre petit garçon.

– Mon petit garçon… c’est lié… c’est lié à ma vie. On m’a fichue à la porte de Saint-C*.

– La directrice vous a fichue à la porte, pourquoi ?

– Sans en avoir l’air, elle faisait de la politique…

– Vous vouliez quoi ?

– Faire un cirque du diable.

– Qu’est-ce que vous appelez… ?

– J’étais maltraitée, exploitée et démolie. Au début, ça me plaisait bien, c’était nouveau. Ensuite. Ensuite, Mlle O* m’a fichue… Elle reconnaissait les gens, quelques orthophonistes, céramistes ; les autres, par contre, c’étaient des vrais pions, comme des esclaves d’enfants, un peu des esclaves.

– Ah oui ?

– Qu’est-ce que vous en pensez ?

– Il se trouve que je la connais.

– Personnellement ?

– Oui, je la connais personnellement [28]. »

De nouveau, il fait une coupure. On le fait toujours en présentation, mais c’est Lacan qui nous l’a enseignée. Pourquoi dit-il qu’il la connaît personnellement ? Il entend qu’elle n’accroche pas donc il essaie en face de faire discours, c’est-à-dire de ne pas être tout seul, de dire oui, je la connais, on a parlé de vous… Si c’était une paranoïaque, il ne dirait pas cela – vous vous en doutez. Mais elle se balade donc il essaie de la paranoïser un tout petit peu, de voir s’il y a un minimum d’Autre pour elle, un Autre avec un grand A, un Autre qui l’accrocherait. Donc il s’y prête :

« Vous l’avez contactée à la suite de mon traitement ?

– Absolument pas, il se trouve que je la connais par ailleurs.

– À ce moment-là…

– C’est tout à fait exact.

– C’est comme ça que vous la connaissez. Je pense que c’est elle qui est la plus malade de tous les enfants, l’enfant malade.

– C’est ce que vous pensez ? Revenons à…

– … nos moutons [29]. »

Lacan dit revenons à… car il fait toujours cette même manœuvre de circonvolution et retour, circonvolution et coupure – comme avec Aimée –, et là elle dit : « nos moutons ». Lacan reprend :

« Je veux dire que si j’ai bien compris ce qu’on m’a dit, c’est à Saint-C* que vous avez eu cet enfant.

– Que j’ai eu mon enfant. Vous dites : « mon enfant à moi », mais vous ne pensez pas mon enfant. Je ne vous l’avais pas dit, mais je pense que vous l’avez dans la tête. Moi, j’ai deviné que vous pensez vos enfants.

– En quoi est-ce que vous pensez que vous avez deviné [30] ? »

Elle est alors dans un rapport de transitivisme à Lacan, d’identification imaginaire : « j’ai dit mes enfants, vous avez dit vos enfants, c’est vos enfants ou mes enfants ». Il y a quelque chose qui passe par le devinement. Le mot « deviner » renvoie à la transparence du sujet psychotique. Elle est transparente à Lacan, donc Lacan lui est transparent. Elle peut dire ce que lui pense parce qu’elle sait qu’il peut lire en elle, que les pensées se communiquent. C’est un métalangage. Il ne s’agit pas de toutes les « fusions » dont on entend parler d’habitude – « c’est fusionnel » – non ! À ce moment de l’entretien, ce sont des identifications transitives qui ne passent pas par l’Autre. Elle dit alors : « vous pourriez être mon grand-père » – tant qu’à faire, pourquoi ne pas y mettre un peu de filiation ?

« Parce que vous pourriez être mon père ou mon grand-père.

– C’est évident, je pourrais être grand-père [31]. »

Lacan dit bien je pourrais être grand-père. Il a d’abord dit c’est moi, je suis là pour vous et dites-moi pour tirer le sujet vers lui, mais quand cela dérive vers ce qui pourrait le faire disparaître, il l’arrête par je pourrais être grand-père. Lacan revient ensuite sur l’enfant :

« Mais dites-moi comment vous avez eu cet enfant ?

– Comment je l’ai eu ? Comme tout un chacun. À moins… on ne sait jamais…

– Mais enfin, pouvez-vous savoir que ce n’est pas par l’opération du Saint-Esprit ?

– Non, je sais que c’est par l’opération de la chair.

– Vous devez bien savoir si vous y êtes pour quelque chose, si ce n’est pas l’opération du Saint-Esprit. Qu’est-ce qui s’est passé entre vous et le père de cet enfant ? parce qu’il a un père, cet enfant…

– Oui, il a eu un père. Il a forcément un père… à moins que ce soit une grossesse nerveuse, ce qui m’étonnerait.

– Le propre d’une grossesse nerveuse, c’est qu’il n’y a pas d’enfant. Cet enfant, où est-il ?

– À M*, chez une nourrice. Il est très bien. C’est une femme ordonnée, propre… Il lui manque peut-être quelque chose.

– Peut-être vous.

– Oui, peut-être moi [32]. »

L’ironie reste présente tout le temps pour elle. Elle traverse toute la présentation. Lacan prend donc la peine de lui dire qu’il n’y a pas d’enfant dans la grossesse nerveuse. Il n’explique rien. Il dit cet enfant est là, c’est une constatation. Et à ce moment-là, elle dit qu’il est chez la nourrice. Elle arrive à dire des petites choses mais remarquons que l’enfant ne l’accroche pas plus que le reste.

Quand il lui dit : « peut-être vous » et qu’elle répond : « peut-être moi », c’est la réponse du berger à la bergère. On ne dit pas : « peut-être moi ». Il s’agit de nouveau d’un affect qui est absent. Lacan insiste un petit peu et elle parle autour de l’enfant : elle a reçu des photos, on la laisse téléphoner, etc. Elle dit ensuite cette phrase : « maintenant, on s’amuse à me faire confiance [33]. » Le « on s’amuse » correspond au rire sardonique du président Schreber mais de façon infinitésimale chez elle : il arrive et il part aussitôt. En fait, elle dit : « ne me faites pas confiance ». Elle dit elle-même qu’il ne servirait à rien de lui confier son enfant – ce que relève Lacan dans la discussion. Cela n’a aucun intérêt. La seule chose à dire à cette femme, c’est il y a mille et une manières d’être mère et vous l’êtes à votre manière. C’est tout. Mais pas du tout sur le mode « être une mère pour un enfant », comme la question était posée d’ailleurs par les soignants : « est-ce que l’on doit lui dire de faire en sorte qu’elle puisse avoir de nouveau son enfant ou qu’elle puisse le voir seule ? » Elle n’accroche pas. Sans accroche, il est impossible de fabriquer une relation qu’il n’y a pas.

« J’aimerais trouver une place dans la société, dans la vie. Je ne la trouve pas. Je suis à la recherche d’une place, pour moi. Je ne trouve pas cette place parce que je n’ai plus de place [34]. »

Elle cherche quelque chose qui est de l’ordre d’une place, précisément parce qu’elle ne peut pas subjectiver. Elle cherche un lieu qui pourrait faire lien. Cette femme aurait été très bien en hospitalisation de jour parce que nous aurions nous aussi pratiqué la coupure et elle aurait eu à la fois une place et quelque chose qui n’en est pas tout à fait une.

Cette question de place est fondamentale. Elle, elle cherche un lieu mais, nous, nous savons que la place qu’elle cherche est d’un Autre ordre avec un grand A, c’est-à-dire qu’elle cherche une place dans le discours. Elle cherche finalement à ce qu’on puisse lui faire une injection de symbolique, mais ce n’est pas possible.

C’est un point très intéressant qui permet de dire avec Lacan que le sujet psychotique n’est pas déficitaire. Elle n’est pas déficitaire : elle saisit très bien qu’il y a quelque chose qui est en défaut mais elle ne peut pas s’en saisir, elle ne peut pas le subjectiver. Si elle pouvait s’en saisir, il ne serait précisément pas en défaut. Elle attend donc que cela vienne de l’Autre, comme les patients qui demandent l’euthanasie. La place qu’elle cherche est une place au niveau inconscient mais elle ne peut pas l’avoir à cause de la forclusion.

« La mienne ne me plaît pas. C’est une petite place. J’en veux une grande, une très grande [35]. »

Elle voulait une grande place. Je vais me référer à ma fameuse théorie, que je cite partout, à savoir que la mégalomanie est un nom du sujet [36]. C’est ce qui se substitue au sujet. Le sujet psychotique est mégalomaniaque ou n’est pas, c’est-à-dire que soit il est mégalomaniaque, soit il est objet déchet. Il n’a pas d’autre possibilité. Freud le montre très bien – je l’avais aussi noté dans mon cours en faisant le commentaire de « Pour introduire le narcissisme » [37]. La mégalomanie peut venir à la place du sujet. Finalement, être le phallus qui manque à… est une position mégalomaniaque. Le sujet, du côté de la jouissance, cherche une très grande place. Le passage suivant est remarquable :

« Vous aviez une place importante, vous étiez l’aînée.

– J’étais l’aînée d’une famille de six enfants. À chaque fois qu’elle partait, ma mère, pour une autre maternité, c’est moi qui prenais sa place. Je lavais les couches, je rangeais, je m’occupais de la maison surtout à chaque fois qu’elle partait pour une maternité. Mais pendant qu’elle était là, je ne l’aidais pas, je ne faisais pas mon lit. Lorsqu’elle était partie, je faisais tout. J’étais efficace. Je voudrais savoir que je suis efficace, c’est-à-dire faire quelque chose, faire bien quelque chose [38]. »

Elle est l’aînée. Quand elle était petite, sa mère est partie accoucher d’un enfant. Lorsque sa mère lui a dit : « je pars donc tu vas t’occuper de tes frères et sœurs », elle s’est s’occupée totalement des frères et sœurs, c’est-à-dire qu’il n’y avait pas de division. Elle est la mère – est en italiques, comme Lacan pourrait l’écrire. « Je faisais tout, j’étais efficace ». Elle est commandée par la parole de sa mère parce que celle-ci est en place d’Autre de l’Autre. La parole de la mère vaut comme « je suis ce que tu dis » – c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec les trans et qui me fait sauter au plafond. La mère lui dit : « tu es à ma place », et elle agit totalement à sa place. Elle est donc la mère.

La mère revient. Tout le monde s’attend à ce qu’elle puisse continuer à l’aider. Mais elle ne le peut pas ! Pourquoi ? Parce que le signifiant a été substitué. Il n’y a pas de division. Il y a une substitution totale de signifiant de la mission, et de l’identification aussi bien. Elle est donc redevenue enfant et elle ne peut même pas faire son lit.

C’est exactement ce qui s’est passé pour Camille Claudel. Quand on l’a hospitalisée, quand on l’a enfermée à Ville Évrard, elle a cessé immédiatement de sculpter. On ne peut pas être sculptrice et hospitalisée en psychiatrie en même temps, sculptrice et folle en même temps. J’y avais consacré un texte jadis [39]. Il ne peut pas y avoir de concurrence de suppléances. Dans ce cas, ce ne sont pas des suppléances parce qu’elles ne tiennent pas. En tous cas, il ne peut pas y avoir de concurrence de signifiants.

Elle a pensé qu’elle était hypnotisée mais elle ne le pense pas vraiment, c’est-à-dire qu’elle protège son délire – comme c’est souvent le cas. Elle aurait eu des syndromes d’influence. On reconnaît le syndrome d’influence de la schizophrénie : dédoublement, se sentir hypnotisé, envahi, transparent à l’autre, etc. Mais son corps n’est pas franchement atteint. C’est une dissociation psychique. Elle répond d’ailleurs : « j’étais en pleine forme [40] ». Elle a lu… Elle balade Lacan. Il essaye, mais elle le masque.

« Depuis dix-sept ans, depuis l’âge de dix-sept ans. Je me suis identifiée à cette fille qui…

– Qui est cette fille ?

– I*

– I* qui ?

– I* G*

– Où vous l’avez connue ?

– Dans ma prime enfance, j’avais six ou sept ans. Nous étions un groupe de petites filles. J’avais remarqué qu’elle était blonde, beaucoup plus jolie que les autres. Souvent je la peignais. Et parfois, elle avait un peu un côté méchant, comme tous les enfants. À son tour elle m’avait dessinée. Elle m’avait fait toute moche. Elle m’a dit : « Tu vois, je t’ai faite toute moche ». C’était rien que pour m’embêter, elle me disait que j’étais toute moche. J’avais un peu de peine. Ce sont des souvenirs d’amour : je pense, les premiers amours déçus [sic] [41]. »

Il est intéressant qu’elle dise : « Je me suis identifiée à une petite fille ». Quand elle était jeune, elle s’est identifiée à une petite fille qui était méchante. Dans la totalité de ses identifications, elle avait trouvé un petit trou. Elle avait trouvé de quoi se trouer un peu par la méchanceté de la petite fille. Néanmoins, elle n’arrive pas à faire sienne cette méchanceté, elle n’arrive pas à l’éprouver. Elle ne peut pas l’éprouver. Il y a peut-être un petit phénomène de corps, c’est-à-dire ne pas éprouver elle-même cette méchanceté qu’elle voit pourtant. Ce serait à rapprocher de la raclée de Joyce. Elle parle ensuite des premières amours déçues. On pourrait alors verser dans le sens commun et se dire qu’elle va nous parler d’amour. Elle passe immédiatement à l’autre phrase : « J’avais eu un autre amour, pour une poupée qui s’appelait Danielle [42]. » Elle passe sans transition de l’animé à l’inanimé, c’est-à-dire que le symbolique, l’amour, par exemple, est réel. Elle passe du symbolique au réel sans franchir quoi que ce soit.

Elle donne ensuite toute une description d’un épisode d’errance, de ce qu’on appelle un voyage pathologique : elle voit un bus sur lequel est écrit « Caen », elle part à Caen ; elle voit écrit « Rennes », elle part à Rennes, etc. « J’ai atterri dans une ville où je ne voulais pas aller [43]. » Elle est partie avec un garçon dont elle connaît à peine le nom de famille et qui a fait de la prison. Ils sont partis tous les deux sur les routes de France – ce qui fait un peu penser au couple Moitoiret. Elle s’apprête à parler de lui, à dire quelque chose d’intime, et toc ! cela s’arrête immédiatement selon le même mécanisme. Elle demande alors si c’est normal qu’elle parle ainsi devant tout le monde. Elle n’en fait même pas une paranoïa. Lacan répond que c’est normal. Comme c’est normal, elle continue. On retrouve toujours cette métonymie, qui est sans transition, du symbolique au réel. Le réel est pris dans le symbolique et tout le symbolique est réel. Cela lui paraît donc normal. Lacan la laisse parler :

« Partout. Nous avons logé dans différents hôtels. On n’avait pas d’argent à ce moment-là. Nous avons habité des studios. On n’a jamais payé, on n’avait pas d’argent. On restait pendant un mois à peu près. Au bout d’un mois, la propriétaire nous mettait dehors, évidemment. Je crois que je faisais un peu la folle, ça m’amusait. Parfois, j’ai l’impression que je l’aime, mais je serais incapable d’aimer… ou un enfant… les autres. Pourquoi vous souriez ?

– Il n’y a pas de raison que je ne sourie pas. Dites-moi, mon petit chou…

– Mon petit chou, mon petit chou [rire]. C’est agréable, en somme, mais c’est surprenant. Mon petit chou…vous ne m’avez pas dit salope ou putain. Je rigole un peu fort, mais c’est un fait exprès, une réaction à « mon petit chou ».

– Salope, ça a un sens, c’est une appréciation morale. Vous vous considérez comme une putain [44]»

Lacan sourit. Elle l’interroge : « pourquoi vous souriez ? ». C’est très intéressant de pouvoir lire toutes les amorces faites par Lacan. Dans une institution, cela pourrait amorcer des petits bouts qui sont autant de bouts de transfert. Lacan, lui, ne l’a vue qu’une fois.

Lacan ne répond ni oui, ni non. Et il lui dit : « dites-moi, mon petit chou… ». Le terme « petit chou » est un peu daté mais il est quand même osé. Pourquoi le lui dit-il ? Elle s’est d’abord adressée à lui avec un élément distinctif, qui l’a accrochée par rapport à tout le reste. Elle s’est donc bien intéressée au sourire de Lacan, c’est-à-dire à autre chose qu’aux questions et réponses du berger à la bergère. Pourquoi ose-t-il « mon petit chou » ? Parce qu’elle ne développera pas d’érotomanie ou de paranoïa – il est absolument tranquille. À ce point-là de la présentation, il n’y a aucune chance pour que l’Autre prenne une consistance telle qu’elle en devienne paranoïaque. Il peut donc encore faire le petit pas de plus pour voir si, à partir du sourire, l’Autre pourrait encore l’accrocher et, en même temps, il peut lui dire « mon petit chou » tranquillement. Il y a peu de chance que ça ait été très loin. Bien sûr, il ne dirait même pas un quart du centième de la première phrase à une autre patiente. Lacan suit le fil de la jouissance, la manière dont les sujets traitent leur structure.

« Mon petit chou, mon petit chou [rire]. C’est agréable en somme [45] ».

Elle répond sur le plan du ressenti, pas du tout sur le plan de la signification : « qu’est-ce-qui vous prend ?! » « Je rigole un peu fort mais c’est un fait exprès » est une réaction à « mon petit chou ». « Vous ne m’avez pas dit salope ou putain » : elle est davantage ramenée à « Truie ! » qu’à « Cochon ! » [46]. Lacan répond très précisément sur salope et putain. « Salope » a un sens, c’est une appréciation morale. « Putain », c’est un métier, ce n’est pas la même chose, ce n’est pas sur le même plan. Lacan ne confond pas symbolique et réel. Il la questionne : « vous vous considérez comme une putain ? ». Elle explique qu’elle se considère effectivement comme une putain, qu’elle a un mac par téléphone, dont elle ne sait pas quoi faire d’ailleurs. Je voudrais vous faire remarquer qu’il y a deux mots de la triade hallucinatoire : « salope » et « putain ». Elle est donc très probablement hallucinée. Elle ne l’est peut-être pas à ce moment, mais elle a été hallucinée. Elle connaît bien la triade « salope-vache-putain ». Le « petit chou » vient en opposition symbolique à celle-ci. Elle ne le comprend pas bien mais elle dit en somme : « vous ne me traitez pas comme les voix me traitent ». Avec ce que l’on sait déjà concernant l’hypnose, on peut penser qu’elle a été hallucinée. Il faut être très attentif parce que « salope-putain » est très classique. Pour Schreber, c’était l’insulte « charogne » par exemple.

« Oui, un peu. Me vanter, avoir une valeur reconnue par d’autres. Être un personnage pour arriver à une clownerie ou à un guignol au Jardin **

– Quelles sont les diverses clowneries auxquelles vous vous êtes consacrée ? J’ai le sentiment que parmi ces clowneries, il y a des choses, comme ça, que vous avez faites, qui ressemblent beaucoup à ce qu’on appelle couramment maladie mentale. Moi, je ne suis pas très porté à croire les choses que quand même à un moment vous disiez.

– Le débile, au moins, il a la société pour le protéger, mais quand on est caractériel, pour ceux-là, c’est moins bien pour eux [47]. »

Il peut avancer un peu plus dans les clowneries parce qu’elle dit « clownerie ». Il s’en sert un peu comme « l’enfant épileptique » au début de l’entretien. C’est à mettre sur le même plan. Elle a fait quelque chose d’un peu bizarre, elle s’intéressait à quelque chose de bizarre, donc il essaie de l’accrocher à quelque chose de pathologique. Elle répond : « le débile, le caractériel » ; elle se pense donc probablement caractérielle.

Lacan revient : « Est-ce qu’il vous est arrivé qu’on vous donne des pensées [48] ? ». Il a peut-être même pensé aux voix. Mais comme on ne demande pas brutalement à quelqu’un s’il a des hallucinations ou s’il entend des voix, il dit : vous étiez influencée. Il cherche le syndrome d’influence mais elle ne le lui livre pas.

« On se juge mutuellement ?

– C’est un peu… m’as-tu vu… Mon père, je l’accuse d’être un méchant père. Et je m’accuse d’être une mauvaise fille.

– Expliquez-moi.

– C’est les autres, quoi… soi-disant amis qui m’ont toujours reproché d’avoir un père alcoolique, d’être une fille d’alcoolique.

– Il était alcoolique, vraiment ?

– Invétéré, je puis dire. C’est de ma faute, s’il est mort. C’est moi qui l’ai provoqué. J’ai tellement raconté cette histoire-là.

– Racontez-moi.

– Je n’arrête pas de dire toujours la même chose, et j’en ai marre.

– […] Il faut tout de même bien que nous essayions de trouver les choses. Redites-moi.

– J’ai un peu oublié à l’instant. J’étais distraite par mon verre d’eau. Vous me posez une question [49] ? »

Concernant son père, elle dit : « je l’accuse d’être un méchant père, il m’accuse d’être une mauvaise fille ». Il s’agit toujours de cette identification imaginaire. Elle poursuit et dit que c’est de sa faute s’il est mort. On pourrait ainsi croire à une mélancolisation, mais « non, mais c’est moi qui l’ai provoquée, j’ai tellement raconté cette histoire ». De nouveau, le symbolique est réel, c’est-à-dire que les mots tuent comme ça, parce qu’elle a tellement raconté qu’il est mort. Peut-être faudrait-il chercher si elle n’aurait pas l’idée de se chercher une place supérieure. C’est d’ailleurs pour cette raison que Lacan parle un peu de paraphrénie à la fin [50]. Considère-t-elle qu’elle a un pouvoir, celui de provoquer la mort avec ce qu’elle raconte ? On ne peut pas le savoir. De toute façon, elle n’en souffre pas plus que cela, donc les choses s’arrêtent là.

Elle commence alors à en avoir marre. Quand elle en a marre, elle en a marre, donc elle coupe et ce n’est pas possible d’aller plus loin. Lacan revient : redites-le moi. Mais elle tourne en boucle, elle n’accroche pas. Il n’y a rien à faire.

« Vous convenez que ça vous intéressait ?

– Maintenant, je suis malade, je ne peux pas le savoir.

– Qu’est-ce que vous en pensez vous-même ? Parce que c’est tout de même vous qui vous sentez dans votre assiette ?

– Je crois que je ne suis pas malade. Je suis quelqu’un qui a subi de graves frustrations, mais je ne l’accepte pas. On peut accepter ou refuser les frustrations. Je n’accepte pas, je refuse… On me demande à tire-larigot. C’est peut-être moi qui me fais une idée. Enfin, normalement j’ai une idée ; j’ai le raisonnement, le comportement d’un enfant de trois ans, c’est comme ça. J’ai peut-être trois ans d’âge mental, c’est possible.

– Oui, ce n’est pas impossible [51]. »

Il essaie d’apprécier si cela l’intéresse, si cela constitue un point d’intérêt. C’est toujours ce qu’on fait dans la psychose : Qu’est-ce qui vous intéresse ? Qu’est-ce qui vous plaît ? C’est-à-dire : Quel poids vous donnez à ce que vous faites ? Ce qui revient pratiquement à la question de la valeur. Elle dit : « On me demande à tire-larigot ». Cela rappelle vraiment Schreber. L’Autre la sollicite mais pas Lacan avec ses questions, ni même les soignants. C’est souvent ce qu’on explique en institution : c’est l’Autre qui sollicite à parler tout le temps. Certains patients parlent ainsi à l’infini, les graphomanes écrivent à l’infini, etc. Puis elle a cette phrase formidable : « j’ai […] le comportement d’un enfant de trois ans […]. J’ai peut-être trois ans d’âge mental [52] ». Plusieurs éléments peuvent être mis en série : le sujet avait explosé dans le symbolique qui était aussi du réel – tout le symbolique étant devenu réel. Maintenant le temps lui-même explose : il n’y a pas de temporalité. C’est fini. Il n’y a pas d’histoire. Elle dit en fait qu’elle est sans histoire. Elle a cinq ans. Tout peut avoir trois ans. Elle embrasse un garçon, elle a quinze ans. Elle boit son café au lait, elle a trois ans. Elle renverse ses pommes, elle a cinq ans. L’âge est aussi anarchique que le signifiant. L’espace et le temps sont donc déstructurés.

Elle évoque une personne, un ouvrier « qui est gentil. Un peu odieux, quoi [53]. » On entend bien qu’il n’y a pas de contradiction pour elle. Tout est dans tout et réciproquement.

« C’est elle que vous aimiez bien ?

– C’est sa petite sœur que j’aimais bien. Ensuite, je l’ai préférée, elle. Il semblait que nous nous ressemblions. Il semblait, mais elle ne me ressemblait certainement pas. Mais moi, j’ai imaginé qu’elle me ressemblait. Ce que je recherchais dans mon idée, c’est de ressembler à quelqu’un, c’est la condition de vie. C’est pourquoi je recherche leur vie à eux, je veux leur prendre leur vie, je n’ai pas de vie, je prends la vie à l’autre, c’est ça que je recherche. Ce que j’apprécierais [54]. »

Cette phrase est extraordinaire en ce qu’elle dit sa vérité : « Moi, j’ai imaginé qu’elle me ressemblait ». Cela renvoie ce que je vous ai dit tout à l’heure à propos de la méchanceté, par exemple. « Ce que je cherchais dans mon idée… » : elle arrive enfin à dire quelque chose de son idée parce que Lacan l’a tannée avec qu’est-ce que vous pensez de… ? Elle émerge comme sujet. Et qu’est-ce qu’elle dit ? Ce qu’elle dit ne tient pas, en effet, et ce n’est pas le problème. Le dialogue est d’une humanité que l’on retrouve rarement en institution. « Ce que je recherchais dans mon idée, c’est de ressembler à quelqu’un. C’est la condition de vie. » Elle a raison. L’identification aurait pu être sa condition de vie, mais elle ne l’a pas trouvée. Le passage suivant est extraordinaire : « c’est pourquoi je recherche leur vie à eux » – leur vie, pas leur image – « je veux leur prendre leur vie, je n’ai pas de vie, je prends la vie de l’autre, c’est ça que je recherche ». C’est ce qui s’appelle l’extraction de l’objet a. Dans les passages à l’acte meurtrier, c’est exactement cette phrase qui entre en action. Le meurtrier des meurtres immotivés – pas le paranoïaque qui entend des voix, bien sûr – procède à ce que Lacan appelle l’extraction sauvage de l’objet a. Cela rejoint ce que j’ai dit à propos d’Hamlet quand il tue Laërte : il entend Laërte qui pleure, qui hurle de déchirement sur la tombe d’Ophélie. Il se demande ce que sont ces cris parce que l’affect n’est pas tellement sa tasse de thé. Il se dit : « mais qu’est-ce que c’est que ces cris ? » et il le tue ! Il veut extraire la douleur de Laërte parce que lui ne l’éprouve pas. Les tueurs par extraction de l’objet a ou les tueurs en série, ou d’autres, vont chercher la vie dans l’autre, soit l’objet a comme cause de vie. Mlle Boyer témoigne d’un processus similaire lorsqu’elle énonce : « c’est pourquoi je recherche leur vie à eux ». Lacan ne pouvait pas le reprendre dans la discussion parce qu’il ne l’avait pas encore trouvé ! Il n’avait pas encore conceptualisé l’extraction sauvage de l’objet ! Cependant, on peut tout à fait le lire ainsi dans l’après-coup grâce à lui, ce qui est génial.

« Je pensais à une sage-femme que j’avais aimée au cours de mon accouchement. Quand on accouche, c’est quand même pas ordinaire. Le rôle d’une sage-femme qui vous accouche, parce qu’elle est gentille avec vous, mais tomber amoureuse en plus de la sage-femme, l’aimer plus que son fils, c’est un peu fort. C’est Mme Tauchon qui était la sage-femme. J’aimais moins mon fils que Mme Tauchon… C’est un peu gros, non [55] ? »

C’est un autre point remarquable. Elle est intelligente, elle essaie d’une certaine manière de dire l’anormalité : « est-il normal qu’une mère tombe amoureuse de la sage-femme et n’aime pas son fils ? » De plus, elle ne dit pas « aimer la sage-femme ». Une mère peut tout à fait aimer une sage-femme qui a bien accouché du petit, une mère peut aimer la sage-femme qui lui a parlé, etc. Mais ce n’est pas cela dans ce cas. Elle dit : « tomber amoureuse ». Il s’agit donc d’une libido érotomane.

On pourrait croire que cette Mme Tauchon était une figure importante pour elle mais elle passe au « torchon [56] », à quelque chose qui flotte.

« Oui, c’est quelque chose qui flotte, comme ça…

– Moi, j’aimerais mieux vivre suspendue.

– Vous aimeriez vivre suspendue ? Expliquez.

– Vous pensez peut-être à une robe suspendue. Une robe suspendue… j’aimerais vivre comme un habit. Si j’étais anonyme, je pourrais choisir l’habit auquel je pense… j’habillerais les gens à ma façon. Je suis un peu un théâtre de marionnettes, quoi… j’aimerais bien tirer les ficelles, mais je crois que j’ai trouvé plus fort que moi [57]. »

En effet, elle vit suspendue. Le problème, c’est qu’elle est suspendue mais qu’elle n’a pas de corps à mettre dans la robe, précise Lacan [58] – c’est pour cette raison que le rapprochement précédent avec Joyce n’était pas tout à fait faux. La robe est faite de tissu, elle n’est pas faite de l’étoffe des mots. C’est pour cela qu’elle n’a pas de corps. Elle n’a pas de corps parce que les mots ne lui donnent pas d’étoffe. Elle a un tissu, une robe suspendue, un habit, dont on ne sait même pas de quoi il est fait. C’est une sorte de patchwork. L’étoffe, ce serait autre chose : les fils seraient tissés. Dans le cas de la robe, on ne dit rien du tissage – vous savez tout ce que Lacan a pu dire sur le tissage. Elle est donc la robe, le signifiant de la robe ou bien une marionnette. « Je crois que j’ai trouvé plus fort que moi » : elle parle évidemment de Lacan.

À la fin, le transitivisme fait retour avec le gilet [59]. Il y a un petit phénomène de Horla. On ne sait pas où est le gilet, ni à qui il est, si on le lui a pris ou si on ne le lui a pas pris, si c’est une vraie ou une fausse reconnaissance. Elle rentre totalement dans le transitivisme avec l’histoire du gilet. Cela montre que les patients n’allaient pas très très bien quand ils étaient accueillis dans les institutions à cette époque-là. Ils étaient livrés à eux-mêmes. Aujourd’hui, en hospitalisation de jour, les infirmières auraient travaillé la question du gilet avec elle : ah oui, c’est le sien ! Attendez, venez, on va aller la voir… Bref, on aurait mis du tissage entre le gilet et elle.

L’hospitalisation de jour permettrait d’accueillir ces petites impressions et de laisser se développer ces petits moments fugitifs qui traversent l’entretien. Le dialogue avec les autres lui permettrait d’attraper des petites choses à elle.

Enfin, « j’étais la personne temporaire [60] » est la phrase qui dit son être, qui dit le patchwork qu’elle est, sans temps ni histoire. J.-A. Miller relève la phrase : « je suis une intérimaire de moi-même [61] ». Elle est ce que l’autre est, par bouts de miroir.

Discussion

Guilaine Guilaumé – Merci beaucoup pour ce commentaire aussi passionnant qu’impressionnant ! C’est formidable de lire cette présentation.

Francesca Biagi-Chai – C’est d’une richesse ! J’y trouve de nouvelles choses à chaque fois.

G. Guilaumé – En tirant ce fil de la jouissance, que vous ne lâchez pas, on la lit tout à fait différemment. Et surtout, vous faites dans votre commentaire ce que fait Lacan, c’est-à-dire nous dégager tout le temps du sens, ne pas nous laisser attraper par le sens.

F. Biagi-Chai – C’est ce qu’il fait et je le suis.

G. Guilaumé – Vous le suivez, en effet, sans hésiter. Dans la discussion après l’entretien, Lacan dit que « ce serait rassurant que ce soit une maladie mentale typique. Ce serait plutôt mieux que quelqu’un puisse habiter le vêtement [62] ». Au fond, c’est cela la maladie mentale typique pour lui.

F. Biagi-Chai – Oui, c’est ça. Si Mlle Boyer pouvait ne serait-ce que dire, par exemple, qu’elle a entendu des voix, c’est-à-dire qu’il y ait de l’Autre. Parce qu’elle ne peut rien dire, elle ne peut pas être sujet.

G. Guilaumé – Lacan poursuit : « c’est la maladie mentale par excellence, l’excellence de la maladie mentale. Ce n’est pas une sérieuse maladie mentale repérable [63] ».

F. Biagi-Chai – Oui. En même temps, il n’y a pas de doute que le fond est schizophrénique. Mais la jouissance est une maladie mentale. La sienne, c’est une maladie mentale typique. Et si elle a fait un petit détour par la clinique de La Borde, il y a des chances pour que ça ait majoré la maladie mentale typique, qu’elle soit devenue de plus en plus typique, parce que livrée à elle-même. C’était la mode à l’époque. Quand il fait sa présentation, Lacan hérite aussi de cela.

Christine Maugin – À chaque fois que j’écoute Francesca, je suis émerveillée. Vous dites qu’il faut « réenchanter », c’est-à-dire faire circuler le savoir de l’énonciation et non pas celui de la connaissance mais, vous, vous parvenez à faire les deux. Votre livre, comme la lecture que vous venez de faire, est un enchantement. Ça donne vraiment envie de reprendre tout cela, de lire, de se remettre au travail du texte. Je trouve que « réenchanter » est le bon mot. Bien sûr, j’ai pensé au cours de Jacques-Alain Miller intitulé « Le désenchantement de la psychanalyse » [64]. On entend l’acte que vous posez. Il faut que vous réussissiez à transmettre le désir que vous avez et je trouve que cela s’entend très nettement dans tout ce que vous dites. Je trouve cela formidable. Quand j’ai relu la présentation de Mlle Boyer, j’ai été très étonnée. Je suis contente de ce que vous avez dit sur « Dites-moi, mon petit chou… [65] ». Quand je l’ai lu pour la première fois, je me suis dit : « mais que fait Lacan ?! » [rires] Je voulais vous interroger sur cela mais vous nous avez déjà donné votre éclairage. Je trouve aussi que la triade « salope-vache-putain », la triade de l’hallucination, est un enseignement précieux.

F. Biagi-Chai – Cela ramène la psychiatrie classique qui a ses lettres de noblesse. La psychanalyse peut très bien aller avec la psychiatrie, comme ce qu’avez fait valoir Guilaine Guilaumé. On peut très bien les marier à condition de savoir où se situe le particulier et où se situe le singulier.

Ch. Maugin – C’est ce que j’apprécie énormément : vous rendez sa dignité à la psychiatrie. Lacan a fait quelque chose pour la psychiatrie. C’est aussi cela, le « réenchantement ».

F. Biagi-Chai – C’est Lacan qui a fait cela. Quand je me suis intéressé à cette présentation, j’ai retrouvé le jeune Lacan et le cours que j’avais fait il y a quatre ans sur la thèse de Lacan. C’était déjà Lacan ! Il n’avait pas encore rencontré Freud, il était en train. L’éthique de la coupure était déjà là à l’époque, c’est-à-dire l’envie d’attraper quelque chose. Pas l’envie de comprendre, ni l’envie de savoir, mais l’envie d’attraper quelque chose de cette énigme. Il faut le prendre par ce biais qui est le biais de notre propre jouissance, au sens du désir, c’est-à-dire l’envie d’attraper quelque chose.

Ch. Maugin – Vous avez parlé de « voyage pathologique » pour Mlle Boyer (à la page 114). J’avais d’abord noté « errance ».

F. Biagi-Chai – C’est le fait qu’elle parte avec son ami qui fait le voyage pathologique. Ils partent, ils vont, etc.

Ch. Maugin – C’est très métonymique comme voyage.

F. Biagi-Chai – Oui, « voyage pathologique » et « errance » sont un peu synonymes. Le signe l’emmène au coup d’après. Elle va là-bas alors qu’elle ne voulait pas y aller.

Ch. Maugin – Elle se fait entraîner au gré de la métonymie.

F. Biagi-Chai – Oui, elle n’avait pas de but délirant. Oui, en effet, ce serait plutôt de l’errance qu’un voyage pathologique. Vous avez raison. Dans le voyage pathologique, il peut y avoir une destination délirante.

G. Guilaumé – Il n’y a pas cela chez elle, même pas cela.

F. Biagi-Chai – Non, même pas cela.

Monique Amirault – Je voudrais vraiment remercier Francesca pour une chose, c’est que c’est bien la première fois que j’entends faire ce lien entre l’institution et quelque chose d’aussi singulier que cet entretien avec un malade. C’est formidable que tu ais mis l’accent sur l’énonciation et sur la façon dont tout ceux qui sont là sont pris et concernés par ce singulier-là. Alors, évidemment, nous n’avons pas toujours la chance que tous les gens qui travaillent avec le patient…

F. Biagi-Chai – Non mais ça circule après.

M. Amirault – Ce qui est remarquable dans ce cas, c’est que rien ne se cristallise. Rien ne s’articule. C’est vide, il n’y a rien. Il n’y a rien à faire, c’est sans poids. Et la seule indication que donne Lacan à la fin, c’est : « elle veut se valoriser, qu’on la valorise si on peut [66] ».

F. Biagi-Chai – Oui, c’est que nous ferions à l’hospitalisation de jour.

M. Amirault – Oui. C’est la question de la valeur qu’il relève. Il donne cette indication qui concerne sa valeur.

F. Biagi-Chai – Qu’il fait lui-même, qu’il met en acte lui-même.

M. Amirault – Bien sûr. Je me demandais ce qu’on pouvait attendre du fait qu’elle soit valorisée. Est-ce que ce serait de trouver quelque chose qui cristallise sa valeur ? Mais il ne semble pas.

F. Biagi-Chai – Non, je dirais que ce serait lui permettre de construire un semblant de moi – on ne peut même pas dire un moi – qui prendrait la place d’un je.

Si on lui dit : « faites-ci, faites-ça », comme on dit dans certaines institutions, et comme l’Autre, sa mère, le lui dit déjà, alors elle devient ça, ce qui est épouvantable. Cependant, supposons que Mlle Boyer soit une patiente de l’hospitalisation de jour, à partir d’une présentation et d’une discussion en réunion, nous dirions : « trouvons ce qui pourrait lui plaire ». Ensuite, on découvre qu’elle aime bien les poupées – j’invente quelque chose au hasard. Nous pourrions alors faire en sorte qu’elle fabrique, par exemple, des habits de poupées, sans que ce soit pour autant de l’ergothérapie. Alors, elle viendrait une heure par semaine et on lui dirait : « c’est formidable ce que vous faites, etc. » Et surtout, Monique, à partir d’une présentation, comme Lacan nous met sur le chemin, on n’aurait pas peur du transfert. On ne se dirait pas : « elle va faire une érotomanie ! » À l’époque, tout le monde avait peur de l’érotomanie – beaucoup plus que maintenant où elle est carrément éliminée. Chacun pourrait mettre la patiente à une place particulière, chacun pourrait relever quelque chose de particulier avec elle. Dans les hôpitaux psychiatriques, il y avait parfois cela mais c’était pour tout le monde pareil. Il y avait des patients qui devenaient des super infirmiers. On n’arrivait plus à savoir s’ils étaient soignants ou soignés. En hospitalisation de jour, on procéderait par petites touches : la patiente viendrait une ou deux heures par semaine, ensuite elle repartirait chez elle ou dans une institution au long cours. La valorisation permettrait de faire en sorte que tout le symbolique ne soit pas réel. Ce serait introduire quelque chose, faire une place pour quelque chose d’un peu plus – d’ailleurs c’est ce qu’elle-même veut [67]. Et une place pour quelque chose d’un peu plus pour quelqu’un pour qui tout le symbolique est réel, c’est avoir une place. C’est avoir une place parmi d’autres – une place d’exception serait un trop grand mot la concernant. On a du mal à bien parler tant elle est dissociée. Mais elle est sensible à un certain nombre de petites choses. Elle a été sensible à « mon petit chou » et au sourire de Lacan [68]. Donc ces éléments auxquels elle est sensible, si on n’a pas peur, on peut en faire des zones pour qu’elle ait l’espace de s’y développer et qu’à la fois ce ne soit pas un surmoi qui la mette au travail comme il semble que cela l’ait fait déclencher. La pousser un peu du côté de cette mégalomanie qu’elle espère en filigrane permettrait au moins de faire une petite hiérarchie dans le symbolique qui est réel.

Gérard Seyeux – Pour reprendre ce que J.-A. Miller a dit récemment, je suis « bluffé » par cette conférence qui m’a appris beaucoup de choses. J’ai été sensible à la façon dont tu as expliqué que lorsque tu recevais les malades à l’hôpital, c’était une présentation. Je n’avais jamais entendu cela. J’ai connu les médecins qui s’entretenaient seuls avec les patients. Or, tu expliques que tu fais l’entretien sur le modèle de la présentation. Je trouve cela extrêmement précieux.

F. Biagi-Chai – Je l’ai décliné. Je l’ai décliné grâce à Lacan. Pour un sujet qui arrive à l’hôpital, c’est déjà allusif si on lui parle alors qu’on ne l’a pas entendu parler, si lui-même ne sait pas qu’on l’a entendu parler. Le terme de « présentation » m’est venu comme ce qui allait défaire l’allusion et le fait qu’on parle de lui sans lui. On ne pouvait pas parler de lui sans lui. Et si j’étais seule à le recevoir, c’étaient mes mots et non plus les siens. Après les mots se mettent à circuler, on se demande d’où ça vient. C’est le contraire de la psychanalyse, c’est le contraire de ce que fait Lacan. Il essaie d’aller justement vers l’objet, vers le sujet, vers une densité, vers une cristallisation, vers quelque chose qui ait un peu de tenue.

G. Guilaumé – En tant que médecin, vous pouvez mettre cela en place.

F. Biagi-Chai – C’est vrai.

G. Guilaumé – Mais je pense à beaucoup d’entre nous qui sommes psychologues. Est-il alors possible de rencontrer, comme vous le faites, un patient en première instance à l’hôpital ? Est-il possible de faire comme vous le proposez ? Quels sont les coins que l’on peut enfoncer dans la bûche ?

F. Biagi-Chai – C’est difficile. J’avais été très sensible à ce que J.-A. Miller avait dit sur « La direction de la cure et les principes de son pouvoir ». En 1968, on avait la tête farcie du pouvoir médical. Mais le pouvoir, c’est l’usage que l’on en fait. Ce n’est pas le pouvoir en tant que tel. Il se trouve que j’étais médecin, donc c’est moi qui signais les sorties. Le minimum, c’était de signer la sortie. Signer la sortie sans savoir est un pouvoir pur. Signer la sortie en ayant fait circuler un savoir et en n’étant plus que l’instrument de la signature me semblait être une autre conception du pouvoir. J’étais tellement à l’aise que je signais à l’avance des feuilles que les autres remplissaient. Cela ne posait aucun problème. Il y avait une grande liberté – sinon je n’aurais pas pu travailler. Le pouvoir était mis au service du savoir. Ce qui n’est pas du tout la même chose que le pouvoir pur.

J’ai écrit ce livre pour qu’il y ait des psychiatres qui puissent faire ce genre de travail. Mais je pense qu’il y a des choses possibles pour les psychologues. Ils n’auront pas le pouvoir décisionnel concernant les sorties, mais cela peut se discuter à l’avance. Il y a toutefois un point qui est absolument identique : c’est celui de l’effort de transmission. Ce que Lacan appelle « un idéal de simplicité [69] ». C’est toujours faisable. À l’hôpital, j’ai connu des psychologues qui recevaient les patients ou qui les suivaient, et leur effort de transmission apparaissait dans les réunions. Je pense que c’est toujours possible, même quand on est dans des services moyens, on peut trouver deux ou trois personnes. Rien n’oblige à faire un grand truc. L’hospitalisation de jour n’a pas colonisé tout Villejuif. La transmission a toujours à voir avec l’intension. Que ce soit pour la passe ou autre chose, c’est toujours en intension. Donc il y a cet effort de simplicité, qui est à la fois un effort de transmission, et que tout le monde peut faire. Concernant les possibilités concrètes que l’Autre social demande, il y a des différences, c’est vrai, mais c’est secondaire, d’une certaine manière.

G. Guilaumé – Je vous remercie beaucoup. Je trouve cela très précieux pour chacun d’entre nous. Cela peut vraiment ouvrir…

F. Biagi-Chai – Oui, c’est qu’il faudrait. C’est faire confiance au discours.

Marie-Claude Chauviré-Brosseau – Dans la présentation de Mlle Boyer, Lacan dit à la fin : « elle illustre ce que j’appelle le semblant. Elle est ça [70] ». Dans votre livre, vous avez un usage de ce concept en hospitalisation de jour [71]. Il y a le cas de la postière [72] par exemple que j’ai trouvé très illustratif de cette pratique qui permet que tout le symbolique ne soit pas réel. J’ai trouvé que c’était très parlant par rapport à cette présentation de malade, alors que Lacan n’avait pas encore développé ce concept-là.

F. Biagi-Chai – Je vous remercie infiniment, je n’avais pas fait le rapprochement mais c’est très juste. Quand j’ai commenté « Le séminaire sur “La Lettre volée” » de Lacan, je disais qu’il y avait des choses que j’avais trouvé qui étaient déjà là et que J.-A. Miller enseignera dans son cours « L’Un-tout-seul » [73]. Mais « comme si la place était là », ce n’est pas un usage appliqué. Si quelque chose ne peut pas être encore théorisé, on l’extraie néanmoins dans sa fonction. C’est ce que Lacan fait. Quand je vous disais qu’il laissait la place à l’ironie, c’est la place du semblant. Il lui laisse ce semblant pour ensuite essayer de resserrer quelque chose. Si par contre vous faites la chasse à l’ironie, c’est fini. Si on veut aller du symbolique à la réalité, c’est fini. Le semblant vient en tiers. Lacan ne peut pas encore le dire mais il le fait exister et il le dit – il l’ébauche dans la manière dont il le dit. Ensuite, je m’en suis servi. La valeur, c’est une valeur de semblant. De toute façon, on l’a vu dès le départ, le mot « valeur » n’a pas de sens. Donc il s’agit bien de l’usage du mot « valeur ». L’usage pour qu’elle puisse avoir un discours ou plutôt un semblant de discours, puisqu’elle n’arrive pas à être dans le discours. Merci beaucoup.

G. Guilaumé – C’est nous qui vous remercions.

Ce texte constitue la transcription de la conférence de Francesca Biagi-Chai et de la discussion qui a suivi.

Texte établi par Guillaume Miant

Transcription : Sophie Bardet, Marie-Monique Bercelli, Sarah Guesmi, Guillaume Miant


[1]. Cf. Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », in Biagi-Chai F., Traverser les murs. La folie, de la psychiatrie à la psychanalyse, Paris, Imago, 2020, p. 16-17.

[2]. Guilaumé G., « Plaidoyer pour la différence absolue », intervention prononcée à l’École de la Cause freudienne lors de la journée Question d’École, le 22 janvier 2022 (à paraître).

[3]. Biagi-Chai F., « La dépathologisation de la clinique », intervention prononcée à l’École de la Cause freudienne lors de la journée Question d’École, le 22 janvier 2022, inédit.

[4]. Lacan J., « La direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 589.

[5]. Biagi-Chai F., Traverser les mursop. cit., p. 229.

[6]. Biagi-Chai F., « Infanticide : une contre-expertise psychanalytique », Quarto, no 93, juin 2008, p. 60-63.

[7]. « Présentation de Mlle Boyer », in Miller J.-A. et Alberti Ch. (s/dir.), Ornicar ? hors-série. Lacan Redivivus, Paris, Navarin, 2021, p. 109.

[8]Ibid.

[9]Ibid.

[10]Ibid.

[11]Ibid.

[12]Ibid.

[13]Ibid.

[14]Ibid.

[15]Ibid.

[16]Ibid.

[17]. Cf. Lacan J., « Propos sur la causalité psychique », Écritsop. cit., p. 165 : « Dans les sentiments d’influence et d’automatisme, le sujet ne reconnaît pas ses propres productions comme étant les siennes. C’est en quoi nous sommes tous d’accord qu’un fou est un fou. Mais le remarquable n’est-il pas plutôt qu’il ait à en connaître ? et la question, de savoir ce qu’il connaît là de lui sans s’y reconnaître ? »

[18]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 110.

[19]Ibid.

[20]Ibid.

[21]Ibid.

[22]Ibid.

[23]Ibid.

[24]Ibid.

[25]Ibid.

[26]Ibid.

[27]Ibid., p. 111.

[28]Ibid.

[29]Ibid.

[30]Ibid.

[31]Ibid.

[32]Ibid., p. 111-112.

[33]Ibid., p. 112.

[34]Ibid.

[35]Ibid.

[36]. Cf. Biagi-Chai F., Traverser les mursop. cit., p. 44.

[37]. Cf. Freud S., « Pour introduire le narcissisme », La vie sexuelle, Paris, puf, 1969, p. 81-105.

[38]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 112.

[39]. Biagi-Chai F., « Camille Claudel : deux suppléances ? », Bibliothèque Confluents, octobre 1996, p. 25-32.

[40]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 113.

[41]Ibid.

[42]Ibid.

[43]Ibid., p. 114.

[44]Ibid., p. 114-115.

[45]Ibid., p. 115.

[46]. Cf. Lacan J., Le Séminaire, livre iii, Les Psychoses, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 1981, p. 60.

[47]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 115.

[48]Ibid.

[49]Ibid., p. 116.

[50]Ibid., p. 124.

[51]Ibid., p. 116.

[52]Ibid.

[53]Ibid., p. 117.

[54]Ibid., p. 118.

[55]Ibid., p. 119.

[56]Ibid.

[57]Ibid.

[58]Ibid., p. 124.

[59]Ibid., p. 123-124.

[60]Ibid., p. 110.

[61]. Miller J.-A., « Enseignements de la présentation de malades », op. cit., p. 17.

[62]« Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 124.

[63]Ibid.

[64]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le désenchantement de la psychanalyse » (2001-2002), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, inédit.

[65]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 114.

[66]Ibid., p. 125.

[67]. Cf. ibid., p. 112.

[68]Ibid., p. 114.

[69]. Lacan J., Le Séminaire, livre x, L’Angoisse, texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, 2004, p. 31.

[70]. « Présentation de Mlle Boyer », op. cit., p. 124.

[71]. Cf. Biagi-Chai F., Traverser les murs, op. cit., p. 105 et p. 215-216.

[72]. Cf. ibid., p. 106.

[73]. Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Un-tout-seul » (2010-2011), enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris 8, inédit.

Conférence Gil Caroz, Angers, 15 octobre 2021

Réfréner la jouissance sans père ?

Mes propos d’aujourd’hui auront comme toile de fond la citation de Lacan, extraite de son texte « Allocution sur les psychoses de l’enfant » que Guilaine Guilaumé a mis en exergue dans son argument pour ce cycle de conférences : « Toute formation humaine a pour essence, et non pour accident, de refréner la jouissance[1] ». Dans un premier temps, je partirai du titre que j’ai donné à cet exposé. Il me faudra interpréter l’expression « sans père » que j’ai proposée. Dans un deuxième temps, j’aborderai la question du traitement du passage à l’acte par la symptomatisation. Pour terminer, je proposerai d’autres façons d’aborder la jouissance en institution, sans qu’il s’agisse nécessairement de passages à l’acte.

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[1] Lacan J., « Allocution sur les psychoses de l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 364.