L’Antenne clinique pour s’orienter dans la clinique… et savoir-y-faire dans la pratique

par Monique Amirault le 11/10/2019

Vous venez ici, vous former à la psychanalyse, ce qui n’est pas une formation comme une
autre, une formation technique, évaluable, à sa fin, en termes de capacités acquises. Pour
cette raison, cette formation ne vous donnera pas de diplôme ni d’habilitation à pratiquer la psychanalyse. Mais, elle vous donnera bien autre chose.
Vous aurez peut-être le sentiment que, plus vous apprenez, plus vous avez à désapprendre ; c’est ce que nous vous souhaitons, dans le sens d’une désorientation méthodique telle que la présente J-A Miller dans son cours du 5 février 2003 ¹  : « Une désorientation méthodique, cultivée, permet d’avoir chance de voir les choses autrement que d’habitude. Cela fait partie de l’orientation lacanienne. La désorientation méthodique vous reconduit à votre point de S barré, à votre point de non-savoir et de disponibilité aussi bien. C’est ce qui vous donne une chance de poursuivre, non pas sur le chemin que vous avez déjà frayé, mais plutôt en considérant les mêmes choses sous un autre angle. »


Les concepts de la psychanalyse sont ceux de Freud, de Lacan. Mais ils ne constituent pas
une œuvre, ne désignent pas une pensée homogène d’où se dégagerait l’unité d’une
doctrine. Pas de théorie finie, standardisée. Ces concepts restent vivants et continuent, avec les psychanalystes, avec ceux qui s’en servent, à se laisser tordre, manipuler, à produire du nouveau. C’est pour cette raison que l’on parle plutôt de l’invention freudienne et de l’enseignement de Lacan. Et cet enseignement de Lacan, J-A Miller, depuis 1981, année de la mort de Lacan, nous invite, dans son cours régulièrement tenu jusqu’en 2011, à en dégager les lignes de force, à en saisir les retournements, à nous intéresser au mode de pensée de Lacan, ce qu’il formule ainsi : Lacan pense contre Lacan.


C’est ainsi qu’à la suite de J-A Miller, nous prenons tout Lacan: « Lacan le jeune et Lacan le
vieux, Lacan du concept et Lacan du mathème, Lacan du graphe et Lacan du nœud, Lacan de la passe et Lacan de la garantie, Lacan théoricien et Lacan praticien, Lacan institutionnel et Lacan-la-loi, et Lacan-malgré-la-loi…Pas de tri. Nous avons dit oui et j’ai fait pour nous le plan de la maison. » dit J-A Miller.


Ce travail permanent porte le nom d’ «Orientation lacanienne ». C’est à prendre comme un
nom propre. Comme le dit J-A Miller, « S’il y a une orientation lacanienne, c’est qu’il n’y a
aucun dogme lacanien, pas même l’inconscient structuré comme un langage, aucune thèse ne varietur, qui donnerait lieu à un abécedaire, bréviaire, compendium dogmatique. Il y a seulement une conversation continuée avec les textes fondateurs de l’événement Freud, un Midrash² perpétuel qui confronte incessamment l’expérience à la trame signifiante qui la structure ». Cette citation est reprise dans l’introduction d’un ouvrage dont nous vous recommandons la lecture : Lire Lacan au XXIème siècle.


C’est à cette conversation continuée que vous allez être invités dans les différents modules
de la formation. La conversation est le mode de travail privilégié dans notre champ. Chaque année, l’association UFORCA qui coordonne les différentes sections et antennes cliniques du Champ freudien organise un colloque qui prend la forme d’une conversation à partir de cas cliniques. Une conversation qui ne se fait pas à bâtons rompus, qui n’est pas ouverte à tous les sens, mais qui est rigoureusement orientée et se conclut sur des bouts de savoir nouveaux extraits de la clinique . En témoignent les ouvrages qui rassemblent ces conversations et qui vous serviront de fil directeur³ .


La clinique que nous proposons à votre travail est donc, ici, d’orientation lacanienne, c’est-à-dire orientée vers et par le réel et non soumise aux fluctuations et à la versatilité de
l’imaginaire pas plus que corsetée dans un symbolique qui ne laisse plus place à la surprise de la langue du sujet.
En clinique, il y a des classifications. Elles sont nécessaires, elles sont des semblants utiles,
mais ce que nous ne devons pas oublier, c’est que la clinique concerne des sujets au un par un. « Le cas, dit J-A Miller, fait toujours exception à la règle. » Il s’agit de faire apparaître sa singularité, « dans sa splendeur » et de le libérer ainsi des classifications. C’est pour cette raison que, dans les entretiens, à l’hôpital, nous nous attachons rigoureusement aux
signifiants du texte du patient lui-même, aux détails les plus incongrus.
C’est chez ceux qui viennent nous parler que nous trouvons le témoignage de
l’effondrement des repères symboliques, des modes de jouir qui aujourd’hui sont aux
commandes, des nouveaux symptômes, qui témoignent de l’ancrage de la psychanalyse
dans son temps.
La leçon de Lacan, à la fin de son enseignement, c’est de donner le primat à l’expérience sur la théorie. La dimension pragmatique est au premier plan. Au-delà de la structure, névrose ou psychose, la question à laquelle nous devons trouver réponse pour nous orienter dans le traitement est la suivante : Comment ça fonctionne ? Puisque « Tout le monde est fou, c’est- à-dire délirant4 » et que « nous sommes tous des bricolés5 ».
Car la pratique se fonde dans le réel et répond à l’impossible à supporter de la clinique. Le
corpus théorique analytique est toujours débordé par l’expérience, qui le remet en question. C’est dans ce sens que l’on peut considérer que la psychanalyse est aussi un art, une affaire d’intuition, de tact, de style. D’ailleurs, Lacan ne disait-il pas : »La seule formation que nous puissions prétendre çà transmettre à ceux qui nous suivent s’appelle un style6 ».

¹ J-A Miller, « L’orientation lacanienne. Un effort de poésie », extrait du cours du 5 février 2003. Voir également
le dernier volume d’UFORCA, Comment s’orienter dans la clinique, p.123.
² Midrash signifie étude et désigne l’ensemble des interprétations de la bible hébraïque par les rabbins.
(Wikipedia)
³ Conciliabule d’Angers, Effets de surprise dans les psychoses, 1997
Conversation d’Arcachon, cas rares : les inclassables de la clinique, 1997
Convention d’Antibes, La psychose ordinaire,1999
Variétés de l’humeur, 2008
L’Autre méchant, six cas cliniques commentés, 2010
Comment s’orienter dans la clinique, Recueil UFORCA 2018
4 J-A Miller, « Clinique ironique », La Cause freudienne, n° 23, L’énigme et la psychose, Paris, Navarin/Seuil,
1993, p.8.
5 Alain Merlet, Conversation d’Arcachon, p. 275
6 J. Lacan, « La psychanalyse et son enseignement, Ecrits, Seuil, p. 458.